Thierry Vimal
POT DE VICTIMES
Dernière mise à jour : 3 oct. 2022
Les victimes de terrorisme
qui plus est en groupe
après une lourde semaine
de voyages
d’audiences
et une lourde journée
où chacune à la barre
alla déverser,
faibles
épuisées
résignées
n'ont aucune chance
d'atteindre point plus lointain
que le café du trottoir d’en face.
La brasserie des Deux Palais
compte, hélas, plus de juristes
que de chaises,
obligeant les pauvres parties civiles
à se vider de leurs forces ultimes
pour trouver une table
et, enfin,
s'adonner à la consommation
de boissons
– avouons-le –
alcoolisées.
Beaucoup.
Jusqu'à tard.
Si nos amis parties civiles
parviennent à trouver cette table
dans cette ruche d'abeilles de robes
c'est que leur avocat, bien sûr,
conscient, impliqué,
les a guidés à travers
les arcanes
de ce lieu qu'il maîtrise.
Comment pourrait-il
déontologiquement
après pareille journée
les abandonner
seuls
à leur sombre projet
d'éthylique encanaillement ?
La confidentialité des échanges
oblige à taire ici le nom
dudit avocat.
La convention d'honoraires,
quant à elle, stipule
que ses attitudes de boisson
ne peuvent en aucun cas
être mentionnées dans l'espace public –
sauf qualitativement:
Pic Saint Loup
AOP le Loup du Pic.
Quant à ses blagues,
aucun barreau ne saurait
les tolérer,
aucun gentleman
les rapporter.
Célia,
outre l'exercice
de telle coprésidence,
est designer textile.
Elle se passionne pour deux élevages,
complémentaires sans doute :
le ver à soie
et
l'eczéma.
Son attachement pour le second
la conduisit dans un fauteuil roulant.
Son amour pour le premier
l’en sortit peut-être ?
Célia a plein de vers à soie.
Elle nous les montre, sur son téléphone.
Voici Basile.
Oui, celui-ci se nomme Basile :
en atteste sa carte d'identité.
Pour ses vers à soie
Celia établit
de microscopiques fiches d’État-civil
et tient à jour des carnets de santé.
Ceux qui se comportent mal
sont traduits en cours d’Assise
qu’elle préside
enveloppée d’une étoffe rouge
tissée cousue par elle
à partir de la fibre
produite par ses vers chéris.
Mais toujours, Célia,
bonne maman,
est clémente.
Célia est aussi
coupeuse de feu.
Elle en coupe un
dans mon panaris.
(Depuis le début du procès
j’élève des panaris.)
Son compagnon
boit du picon
il parle peu
mais toujours juste
il ressemble à l'auteur de bédé
qu’il est.
Pour tout vous dire,
il ressemble à son confrère
Amaury Esteban.
Le papa de Celia
Bernard
a les mains immenses
à force de construire des maisons.
Avec son sourire
son air tranquille
on voudrait tous
qu’il nous en bâtisse une
en Ardèche.
On y serait heureux.
Il ressemble à son confrère
Jean-Pierre Duport.
Il est si fier de sa fille,
tellement fier,
ça me pinçaille.
Les pères sont fiers
quand leurs filles sont drôles.
La maman,
Marie-Pierre,
est tombée
Promenade des Anglais,
14 juillet 2016.
Sur elle le salut et la paix.
Mais en cette soirée,
nul ne pleure
sinon de rire.
Les blagues que nous osons
sont ignobles
inaudibles
pour le peuple.
Il nous vouerait
au box des accusés.
Il aurait raison.
Et avec nous,
sur ce joli tableau,
pourquoi pas
Robert McLiam Wilson ?
Robert McLiam Wilson
l’écrivain irlandais
traduit de l’anglais
par Brice Matthieussent
pour les éditions Bourgois.
Si vous ignorez ce que cela signifie
désolé pour vous.
Jetez un œil à la généalogie.
Ma famille de lettres
vient de me retrouver
sonné mais vivant
identifié
grâce à l’ADN
Grâce te soit rendue, Señorita.
Gloire !
Robert McLiam Wilson
écrit des choses belfastiennes
de cet ordre :
Les victimes de la bombe
étaient éparpillées dans la rue
comme
des fruits avariés.
Enfin, les gens tués par la bombe
étaient indéniablement morts,
putain.
Ils étaient très très morts.
(Eureka street, 1996)
Je me permets de te découper en vers, Robert
puisque tu comptes me rabouter dans Charlie.
Robert Mc Liam Wilson
fut envoyé "couvrir"
le grand procès sans-petit-nom
par punition
de son employeur.
Robert, pourtant,
écrivant Apollo 12
fut le premier homme
à monter dans l'espace
pour regarder de plus haut
notre misère
et la voir
dans toute son exactitude.
J’aime
ce que me dit
Robert.
Mon ego d’auteur
ce clébard,
jubile.
Mais tout le reste de l’auteur
la partie noble
celle qui relève d'une réalité
pleure de reconnaissance
et de joie.
Robert me dit :
(avant de lire,
prenez, dans votre tête,
votre plus bel accent irlandais.
Robert ne commet pas
de fautes de grammaire
ou de genre,
– il ne dit pas LE table.
Qu’il me pardonne
de grossir le trait.
C'est au cas où le lecteur,
dans sa tête,
fasse mal
l’accent irlandais)
Il me dit
tapant sur la table :
Mais personne va jamais le publier
ton putain de chronique !
Jamais un journal va faire ça !
C’est beaucoup trop…
imprévisible !
Le mec, tu peux pas savoir
qu’est-ce qu’il va écrire le lendemain !
Tu peux pas contrôler !
Et puis c’est bien trop
inconvenant.
Putain
Mais ta chronique…
mais comme elle est
sublime
Tu as trouvé THE truc, man,
THE truc qu'il fallait faire.
Putain.
Il dit aussi :
Tu n’es pas un écrivain
pour le France !
Une chronique viendra
tribute to
Mais ce soir
je pense très fort
à Allen Ginsberg, John Fante,
Richard Brautigan
Charles Bukowski
et pour LE France,
Blaise Cendrars.
Sans eux,
je ne perds pas ma fille pareil.
Dimanche soir,
chronique douce
Les soupes mijotent
Baisers à certaine brigade
qui, à Nice,
déjà démarre la cuisson
d’une jolie cocotte braisée.