Il m’eût été doux
que les écrivains
écrivaines
prient pour moi
comme pour un frère.
Tel Tabarly
au chaud
devant son téléviseur
suivant inquiet
le sauvetage en mer
de quelque pêcheur de hareng
dont la coque
dans l’ouragan
s'est pourfendue.
Comme Gerlinde Kaltenbrunner
priant devant son poste radio
pour que les secours
retrouvent
ce guide de montagne
du Mont Blanc
ses huit élèves
dont on est sans nouvelles
depuis trois jours.
Personne ou presque
de la presse
ne daigna répondre à ma demande
de soutien
d’accréditation
– ce fut déjà plusieurs fois
larmoyé ici
et croyez bien
que l’on fait son possible
pour passer à autre chose.
Un autre ami,
spirituel,
voix des Sages,
déjà, l’avait annoncé :
Attention avec l’écrit qui veut aller haut
plus haut que les Anges :
il attaque la profession
– et connexes –
dans son noyau de vanité.
On ne peut pas
avoir un talent littéraire
ET
perdre un enfant dans un attentat.
C’est trop : interdit.
Il faut choisir.
L’un, ou l’autre.
Sinon : arrogant que tu es.
Les deux ?
Monsieur se prend pour Victor Hugo ?
Avec les deux,
tu ne peux pas être
un des leurs.
Tu ne peux pas avoir publié
avant,
encore moins
aux éditions de l’Olivier.
– sur elles le salut et la paix.
Vous la publiez, ma chronique ?
Brute, je n’en changerai pas un mot.
Charnellement
elle ne peut pas dépasser
ce qui fut possible
en plein procès
avec les moyens du bord.
L’identité « partie civile endeuillée »
étant incompressible
et indispensable
pour accéder à la salle d’audience,
c’est celle qu’il me faut choisir.
Oublier mes livres antérieurs,
les louanges d’Amette et de Beigbeder,
modestement,
être
pauvre père endeuillé
qui tâche de se réparer
en tâchant d’écrire sa peine.
Même celui que je pris
des années
pour mon ami écrivain,
un jour que, malheureux,
je l’appelais,
me répondit ceci :
(Non, je ne vais pas vous le rapporter ici.
J’ai prévu de me le farcir
dans un livre
en anecdote connexe.)
En outre
je l’ai aujourd’hui remplacé
par Robert McLiam Wilson.
Ce changement d'ami écrivain
apporta à ma vie entière
un gain notable de qualité.
– voilà un bel exemple
pour montrer
combien ce procès
et l’horreur biologique
où ses racines
plongent et fouillent et pompent
peuvent nous insuffler
la plus pure des sèves.
Salon du livre
ville azuréenne,
9 octobre 2022
La file
pour obtenir une dédicace
de Werber Bernard
passe devant moi,
et mes tristes livres,
et ma voisine d’ennui,
Madame Alberti Olympia.
Ce doit être difficile pour vous,
nous dit une dame
qui fait la queue,
son Werber sous le bras.
Elle n’imagine pas
en effet
le degré de difficulté
extrême
du contexte de ma présence ici
entre deux journées
d'audiences brûlantes
et décisives.
Mais moi non plus,
je ne l’imagine pas
cette haute
et réelle difficulté.
Je n’imagine plus rien
car
mon ego d’auteur,
ce clébard,
rue dans les brancards.
Il reçoit de plein fouet
les mots humiliants de la femme
et aussitôt réagit :
« C’est difficile pour nous, oui,
me rebellé-je,
car miseria
les lecteurs ne font plus d’efforts
pour trouver des auteurs :
ils lisent ce qui leur est posé
sous le nez
comme une truite
avale le premier ver de terre
présenté
sur un hameçon. »
– Très mauvaise comparaison,
pardon les poissons,
en tant que pêcheur
l’on peut vous dire
qu’il n’est pas si aisé
de piéger une truite
– sauvage en tout cas.
Olympia, tout aussi vexée,
s'appuyant sur Pierre Michon,
explique à la dame
la différence
entre auteur
et écrivain.
« Vous êtes jaloux ! »
nous rétorque la dame.
« Que oui ! », réponds-je,
d’humeur rock’n roll.
L'auteur assume sa jalousie :
la classe.
D’ailleurs, la dame rit.
(Ayant fait rire une femme,
mon ego se détend.)
Plus tard, sur un banc d’aéroport
l’ego depuis longtemps roupillant,
si fatigué qu’il me fallut
plusieurs fois vérifier
sur mon billet
si je me trouvais à Nice ou Orly,
je vis cette jalousie
passer à poil devant moi.
Elle était des plus laides.
Des plus consternantes.
Des plus décevantes.
J’avais bien aimé Les Fourmis,
en 1991.
Pas de haine envers Werber
– la profession ne l’ignore pas,
mais aucun doute
qu'elle le malmène.
Être jaloux d’un type
pour qui je n’ai pas d’admiration
littéraire
et ne pas être jaloux
de Robert McLiam Wilson
pour qui mon admiration est totale ?
Exactement.
Quels bizarres animaux nous sommes !
Robert McLiam Wilson.
« Tristement la seule chronique »
est-il écrit dans mon chapô.
C’est faux, faux,
il y a celle de Robert
et elle est
putain de bonne.
Merci Charlie Hebdo
et il m’est doux de pouvoir
enfin te dire cela.
Pour citer la dédicace
que je fis à Robert
– car il va jusqu’à
acheter mes livres ! –
Des cieux, la Señorita fit tomber
comme une cerise sur ma chronique
sur mon procès
Robert McLiam Wilson.
En même temps,
je l’entendis.
"Papounet ! ricana-t-elle,
jamais de la vie
l’écrivain
qui te soutiendrait
n’aurait pu être
français.
Papounet
arrêteras-tu enfin
de supplier ton boulanger
de te servir de l’entrecôte ?"
That’s not going to happen.
Robert, lui, écrit :
si un écrivain accompli qui se trouve être le père d’une enfant victime vous offre ses services, vous ne soupesez pas la proposition, vous lui sautez à la gorge et lui demandez quand il est prêt à démarrer.
et quand on écrit ça de vous
le clébard apprécie,
bien sûr,
mais les instances nobles
aussi.
Grâce à Robert
et moi
aucune partie civile
n’est laissée
hors du champ
de l’amour-qui-écrit.
À nous deux,
nous couvrons tout le procès
d’une couverture
d’encre et de cachemire.
En permanence
en modestie
en compassion
l’œil perçant de l’art
reste
posé sur les audiences.
Et cela est bon.
Sachez que quand Robert aime
il écrit :
Je sentais que si j'avais eu
une fermeture éclair
allant de la gorge au ventre
sur le devant de mon corps
je l'aurais ouverte
j'aurais glissé le corps de Sarah à l'intérieur
et j'aurais remonté ma fermeture éclair.
Notre procès est un grand cargo sur la Seine.
À sa barre, le capitaine Raviot,
l’équipage, ministère public, juristes
Master the King
Jalouse-t-elle
l'illustre et vieux confrère
aux 800 parties civiles ?
gilets multicolores
aux fonctions diverses
et sourires généreux.
Le pont,
boat people
plein de parties civiles
– quelques rats dans les cales.
Tous, ensemble,
tâchons de diriger ce navire
vers une terre promise
plutôt que lui planter l'étrave
dans le Mémorial
des Martyrs de la Déportation.
Sur la berge
parmi quelques autres,
Robert
même pas accrédité
tend un bâton
et essaye d'attraper
l'amarre que je lui lance.
Dévier la grosse machine,
pas couler un bateau mouche,
laisser l’île de la cité à babord.
Hissez haut !
Chacun son boulot,
le nôtre,
donner à ce bâtiment
quelque allure littéraire
journalistiquement
archivable.
Robert,
ami cher,
je te l’ai déjà dit,
je le redis
tellement c’est
de plus en plus
nécessaire :
Si tu ne viens pas à Nice,
ton travail sera incomplet
et ce sera un manque
pour toutes les victimes
et tous tes lecteurs
et moi.
Je prendrai la chambre de ma fille
je te laisse la mienne
lit double
appartement 84 mètres carrés
meilleur endroit de la ville.
Cuisine suréquipée
cuisinier diplômé
toutes commodités
proche mer
16 minutes à pied
des retransmissions Acropolis.
Victimes à foison
dans leur habitat naturel.
A découvrir aussi
Promenade des Anglais
Mémorial
que dis-je, mémoriaux,
églises d’obsèques,
une basilique,
pas que des personnes endeuillées
mais aussi des collèges, des écoles,
des administrations.
Nous avons aussi
des bars.
Des gens pas riches et pas fachos,
ainsi pourras-tu
en témoigner à Paris
quand bien même
personne ne te croira.
Et sinon,
amis lecteurs
vous faites quoi
mercredi
à 11h50 ?
Demain à 11h50: prévu un bain de soleil à Libération, à moins que la météo ne m’encourage à être studieuse, le nez dans mes copies (et ceci est le condensé caricatural de ce que pouvait répondre une prof niçoise)
Merci Thierry, merci à Robert McLiam Wilson ! Oui on l'accueillera pour le mieux à Nice bien sûr... et mercredi 11h50, je veux savoir où je dois être pour ne pas rater ça ;-) à bientôt ! Flo M.
Je vous lis parce que Charlie. Oui. Parce que Robert McLiam Wilson, vagabon éternel, et ses indispensables chroniques et mots. Alors merci
Mercredi 11h50... à découvrir la chronique audiovisuelle, je like, je commente et je partage entre 11h50 et 12h50 🙏🙏🙏
Mercredi 11h50 ? C'est une invitation ? j'essaierai de me débrouiller, et vous, ami écrivain, vous faites quoi ? je vous ai raté à Mouans-Sartoux, quel con ...
Ha, je précise que je n'y suis pas allé, je ne serais pas passé devant vous en courant vers une tête de gondole !