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Photo du rédacteurThierry Vimal

ROBERT McLiam WILSON

Il m’eût été doux

que les écrivains

écrivaines

prient pour moi

comme pour un frère.

Tel Tabarly

au chaud

devant son téléviseur

suivant inquiet

le sauvetage en mer

de quelque pêcheur de hareng

dont la coque

dans l’ouragan

s'est pourfendue.


Comme Gerlinde Kaltenbrunner

priant devant son poste radio

pour que les secours

retrouvent

ce guide de montagne

du Mont Blanc

ses huit élèves

dont on est sans nouvelles

depuis trois jours.


Personne ou presque

de la presse

ne daigna répondre à ma demande

de soutien

d’accréditation

– ce fut déjà plusieurs fois

larmoyé ici

et croyez bien

que l’on fait son possible

pour passer à autre chose.


Un autre ami,

spirituel,

voix des Sages,

déjà, l’avait annoncé :

Attention avec l’écrit qui veut aller haut

plus haut que les Anges :

il attaque la profession

– et connexes –

dans son noyau de vanité.


On ne peut pas

avoir un talent littéraire

ET

perdre un enfant dans un attentat.

C’est trop : interdit.

Il faut choisir.

L’un, ou l’autre.

Sinon : arrogant que tu es.

Les deux ?

Monsieur se prend pour Victor Hugo ?


Avec les deux,

tu ne peux pas être

un des leurs.


Tu ne peux pas avoir publié

avant,

encore moins

aux éditions de l’Olivier.

sur elles le salut et la paix.

Vous la publiez, ma chronique ?

Brute, je n’en changerai pas un mot.

Charnellement

elle ne peut pas dépasser

ce qui fut possible

en plein procès

avec les moyens du bord.


L’identité « partie civile endeuillée »

étant incompressible

et indispensable

pour accéder à la salle d’audience,

c’est celle qu’il me faut choisir.

Oublier mes livres antérieurs,

les louanges d’Amette et de Beigbeder,

modestement,

être

pauvre père endeuillé

qui tâche de se réparer

en tâchant d’écrire sa peine.


Même celui que je pris

des années

pour mon ami écrivain,

un jour que, malheureux,

je l’appelais,

me répondit ceci :

(Non, je ne vais pas vous le rapporter ici.

J’ai prévu de me le farcir

dans un livre

en anecdote connexe.)


En outre

je l’ai aujourd’hui remplacé

par Robert McLiam Wilson.

Ce changement d'ami écrivain

apporta à ma vie entière

un gain notable de qualité.

– voilà un bel exemple

pour montrer

combien ce procès

et l’horreur biologique

où ses racines

plongent et fouillent et pompent

peuvent nous insuffler

la plus pure des sèves.


Salon du livre

ville azuréenne,

9 octobre 2022

La file

pour obtenir une dédicace

de Werber Bernard

passe devant moi,

et mes tristes livres,

et ma voisine d’ennui,

Madame Alberti Olympia.


Ce doit être difficile pour vous,

nous dit une dame

qui fait la queue,

son Werber sous le bras.


Elle n’imagine pas

en effet

le degré de difficulté

extrême

du contexte de ma présence ici

entre deux journées

d'audiences brûlantes

et décisives.


Mais moi non plus,

je ne l’imagine pas

cette haute

et réelle difficulté.

Je n’imagine plus rien

car

mon ego d’auteur,

ce clébard,

rue dans les brancards.

Il reçoit de plein fouet

les mots humiliants de la femme

et aussitôt réagit :

« C’est difficile pour nous, oui,

me rebellé-je,

car miseria

les lecteurs ne font plus d’efforts

pour trouver des auteurs :

ils lisent ce qui leur est posé

sous le nez

comme une truite

avale le premier ver de terre

présenté

sur un hameçon. »

– Très mauvaise comparaison,

pardon les poissons,

en tant que pêcheur

l’on peut vous dire

qu’il n’est pas si aisé

de piéger une truite

– sauvage en tout cas.


Olympia, tout aussi vexée,

s'appuyant sur Pierre Michon,

explique à la dame

la différence

entre auteur

et écrivain.


« Vous êtes jaloux ! »

nous rétorque la dame.

« Que oui ! », réponds-je,

d’humeur rock’n roll.

L'auteur assume sa jalousie :

la classe.

D’ailleurs, la dame rit.

(Ayant fait rire une femme,

mon ego se détend.)


Plus tard, sur un banc d’aéroport

l’ego depuis longtemps roupillant,

si fatigué qu’il me fallut

plusieurs fois vérifier

sur mon billet

si je me trouvais à Nice ou Orly,

je vis cette jalousie

passer à poil devant moi.


Elle était des plus laides.

Des plus consternantes.

Des plus décevantes.


J’avais bien aimé Les Fourmis,

en 1991.

Pas de haine envers Werber

– la profession ne l’ignore pas,

mais aucun doute

qu'elle le malmène.


Être jaloux d’un type

pour qui je n’ai pas d’admiration

littéraire

et ne pas être jaloux

de Robert McLiam Wilson

pour qui mon admiration est totale ?

Exactement.

Quels bizarres animaux nous sommes !



Robert McLiam Wilson.


« Tristement la seule chronique »

est-il écrit dans mon chapô.

C’est faux, faux,

il y a celle de Robert

et elle est

putain de bonne.

Merci Charlie Hebdo

et il m’est doux de pouvoir

enfin te dire cela.


Pour citer la dédicace

que je fis à Robert

– car il va jusqu’à

acheter mes livres ! –

Des cieux, la Señorita fit tomber

comme une cerise sur ma chronique

sur mon procès

Robert McLiam Wilson.

En même temps,

je l’entendis.

"Papounet ! ricana-t-elle,

jamais de la vie

l’écrivain

qui te soutiendrait

n’aurait pu être

français.

Papounet

arrêteras-tu enfin

de supplier ton boulanger

de te servir de l’entrecôte ?"

That’s not going to happen.


Robert, lui, écrit :

si un écrivain accompli qui se trouve être le père d’une enfant victime vous offre ses services, vous ne soupesez pas la proposition, vous lui sautez à la gorge et lui demandez quand il est prêt à démarrer.

et quand on écrit ça de vous

le clébard apprécie,

bien sûr,

mais les instances nobles

aussi.


Grâce à Robert

et moi

aucune partie civile

n’est laissée

hors du champ

de l’amour-qui-écrit.


À nous deux,

nous couvrons tout le procès

d’une couverture

d’encre et de cachemire.

En permanence

en modestie

en compassion

l’œil perçant de l’art

reste

posé sur les audiences.

Et cela est bon.


Sachez que quand Robert aime

il écrit :

Je sentais que si j'avais eu

une fermeture éclair

allant de la gorge au ventre

sur le devant de mon corps

je l'aurais ouverte

j'aurais glissé le corps de Sarah à l'intérieur

et j'aurais remonté ma fermeture éclair.


Notre procès est un grand cargo sur la Seine.

À sa barre, le capitaine Raviot,

l’équipage, ministère public, juristes

Master the King

Jalouse-t-elle

l'illustre et vieux confrère

aux 800 parties civiles ?

gilets multicolores

aux fonctions diverses

et sourires généreux.

Le pont,

boat people

plein de parties civiles

– quelques rats dans les cales.

Tous, ensemble,

tâchons de diriger ce navire

vers une terre promise

plutôt que lui planter l'étrave

dans le Mémorial

des Martyrs de la Déportation.


Sur la berge

parmi quelques autres,

Robert

même pas accrédité

tend un bâton

et essaye d'attraper

l'amarre que je lui lance.

Dévier la grosse machine,

pas couler un bateau mouche,

laisser l’île de la cité à babord.

Hissez haut !

Chacun son boulot,

le nôtre,

donner à ce bâtiment

quelque allure littéraire

journalistiquement

archivable.


Robert,

ami cher,

je te l’ai déjà dit,

je le redis

tellement c’est

de plus en plus

nécessaire :


Si tu ne viens pas à Nice,

ton travail sera incomplet

et ce sera un manque

pour toutes les victimes

et tous tes lecteurs

et moi.


Je prendrai la chambre de ma fille

je te laisse la mienne

lit double

appartement 84 mètres carrés

meilleur endroit de la ville.

Cuisine suréquipée

cuisinier diplômé

toutes commodités

proche mer

16 minutes à pied

des retransmissions Acropolis.

Victimes à foison

dans leur habitat naturel.

A découvrir aussi

Promenade des Anglais

Mémorial

que dis-je, mémoriaux,

églises d’obsèques,

une basilique,

pas que des personnes endeuillées

mais aussi des collèges, des écoles,

des administrations.

Nous avons aussi

des bars.

Des gens pas riches et pas fachos,

ainsi pourras-tu

en témoigner à Paris

quand bien même

personne ne te croira.


Et sinon,

amis lecteurs

vous faites quoi

mercredi

à 11h50 ?

530 vues9 commentaires

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9 Comments


Guest
Oct 18, 2022

Demain à 11h50: prévu un bain de soleil à Libération, à moins que la météo ne m’encourage à être studieuse, le nez dans mes copies (et ceci est le condensé caricatural de ce que pouvait répondre une prof niçoise)

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Guest
Oct 18, 2022

Merci Thierry, merci à Robert McLiam Wilson ! Oui on l'accueillera pour le mieux à Nice bien sûr... et mercredi 11h50, je veux savoir où je dois être pour ne pas rater ça ;-) à bientôt ! Flo M.

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Guest
Oct 18, 2022

Je vous lis parce que Charlie. Oui. Parce que Robert McLiam Wilson, vagabon éternel, et ses indispensables chroniques et mots. Alors merci

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Guest
Oct 17, 2022

Mercredi 11h50... à découvrir la chronique audiovisuelle, je like, je commente et je partage entre 11h50 et 12h50 🙏🙏🙏

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Guest
Oct 17, 2022

Mercredi 11h50 ? C'est une invitation ? j'essaierai de me débrouiller, et vous, ami écrivain, vous faites quoi ? je vous ai raté à Mouans-Sartoux, quel con ...

Ha, je précise que je n'y suis pas allé, je ne serais pas passé devant vous en courant vers une tête de gondole !

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