Les vignettes des chroniques
s’obscurcissent.
Les lecteurs s’épuisent.
Rebroussent chemin,
peut-être,
avant que d’atteindre
les bords mystérieux du monde occidental.
L’on me l’écrit,
même.
Je réponds qu'on n'a point le temps
ici
de définir les contours
d’une politique éditoriale
bien ciblée.
À peine peut-on, parfois,
lui insuffler quelque direction.
C'est qu'on a aussi
tout un procès à suivre.
Pour ceux qui restent,
poursuivons
par quelques passes
entre Styx et Achéron.
Tartare, plaine des Asphodèles et samsara
– plusieurs spectres,
encore,
à venir.
Ma mère a peur
que je ne me fasse tuer
par les mafias tunisiennes
qui tiennent la ville.
Exagération, ma mère !
En ce qui me concerne,
en termes de molestation,
je me méfie davantage
des gentils.
Pour t’apaiser, mère
et réduire ce soir
l’état de la menace
que tu imagines sur ma tête,
nous nous en prendrons aujourd’hui
violemment
à un petit homme faible
et sans défense,
le bien nommé
« mon cher ami ».
Celui-là,
presque,
aurait pu être marrant.
Mais il est spectral.
Il sera traité un sur mode
no comment.
Petit, maigre,
Droopyeux
il annonce
à une salle médusée
qu’il est âgé de
80 ans !
Il nous faudra bien
deux ou trois heures d’accoutumance
à son étrange visage
pour démasquer les reflets
des travaux de lifting
au final
pas si bien exécutés.
Ils se sont connus
à la muscu.
Lui l’appelait Momo.
Et Momo l’appelait
mon cher ami.
« Peut-on dire que vous étiez une sorte
de figure paternelle ?
– Oh oui on peut ! »
« Un jour Momo me dit cette chose :
Mon cher ami
voyons-nous dehors
je dois t’annoncer quelque chose
de terrible. »
La chose : Momo compte changer
de salle de sport.
« Oh putain tu m’as fait peur ! »
s’exclame mon cher ami.
Jamais vraiment
dans ce qui va suivre
à la barre
mon cher ami
n’eut vraiment de peur
ni d'interrogations
au sujet de tout ce qui le surprit.
«
Momo était si timide.
Si réservé.
Je lui disais :
tu as la même voix que le Parrain,
petite, un peu cassée,
et ça lui faisait plaisir.
»
«
Un dragueur lourd,
ça oui.
Les femmes c’est oui ou non,
mon cher ami,
me disait-il.
C'est comme ça, de nos jours.
Je ne perds pas mon temps.
Mais il n’était pas impulsif.
»
«
Pas impulsif,
sauf certes, pour cette histoire
de camion mal garé.
Ça m’a étonné, vous pensez !
Je lui ai dit : mais enfin, Momo !
On ne frappe pas les gens
avec des planches à clous !
Deux malabars étaient venus sur lui,
raconta-t-il, alors il avait
pris une planche
et puis
tapé.
»
«
Quand je pointais l’incohérence
de ses propos
il invoquait
la nourriture que son père lui donnait
enfant.
»
«
Il était froid, distant.
Une fois il m’appelle.
Allo mon cher ami ?
Allons voir la tempête !
Magnifique au début.
Et puis,
galets en l’air,
danger,
dégâts.
Et là,
il s’est mis à sauter de joie,
comme un fou.
J'étais stupéfait !
Je ne l’avais jamais vu comme ça.
Je n’ai rien compris.
»
«
Je l’invitais à toutes mes fêtes,
les gens l’aimaient bien,
il avait juste pour consigne :
ne pas draguer.
»
Mon cher ami
connaissait l’épouse
de Momo.
Tous deux s'en étaient ouverts à lui,
du fameux pipi
du célèbre caca.
« Mais qu’est-ce qui t’a pris, Momo ?
– j’ai fait ça pour l’emmerder. »
« Je ne tenais pas
à ce qu’il me présente des gens :
j’ai toujours été méfiant dans mes relations. »
«
A la salsa
Momo se disait Juif
ou Brésilien.
Il avait honte d’être Tunisien.
Il détestait être arabe.
Il détestait les Arabes.
Avec eux, disait-il,
il y a toujours des problèmes.
»
Le Président Raviot questionne :
« Êtes-vous homosexuel ?
– Oui.
– Avez-vous eu des relations sexuelles avec lui ?
– Il adorait les femmes, sans aucun doute.
– Avez-vous eu des relations sexuelles avec lui ? »
Un jour Momo montra
à mon cher ami
des verrues intimes.
Alors, mon cher ami
a-senti-que.
« Je connais les mecs, quoi.
je sais voir leur désir. »
Momo bandait, en gros.
Pas seulement pour qu'on voie mieux les verrues.
Pardon, nous avions dit : No comment.
« Et je l’ai dragué, et ça a marché.
Peut-être que
comme j’étais gentil,
il s’est laissé faire.
– Vous avez dit le contraire
dans vos dépositions de 2016 !
– J’étais si mal dans ma tête,
que mon ami ait pu faire cela.
J’ai dit la vérité,
quatre ans plus tard,
dans Paris Match. »
S’il ne l’a pas dit à la Justice
c’est qu’il n’a été entendu que trois fois
mon cher ami.
À l’été 2016
puis plus jamais.
Mon cher ami
compte sur ses doigts :
un, deux, trois... quatre !
Quatre années
ils furent amants.
Puis stop.
Il ne désirait plus son Momo.
Il est comme ça, mon cher ami :
au bout d'un moment
il se lasse.
«
Momo avait
un joli sourire
mais quand il ne souriait pas,
ses yeux c’étaient
une kalachnikov.
Très méchants.
Momo, lui disais-je,
quand tu parles aux gens,
souris !
Sinon ton regard est
désastreux.
– On me l’a déjà dit, mais je peux pas sourire tout le temps.
»
«
Momo n’était pas intéressé,
financièrement.
Je lui ai payé des meubles de chambre
d’occasion,
sans qu’il me demande.
Plus tard, un petit salon,
car il n’avait rien chez lui.
Vous pensez s’il était content !
Puis je lui ai fait don
de ma Citroën C1.
– Quasi neuve, c’est ça ? interroge la Cour.
12 000 kilomètres ?
Avec changement de carte grise ?
– Oui. C’est qu’un jour
il a vu ma voiture,
il l’a adorée.
Il m’a dit qu’il économiserait
pour s’acheter la même.
»
Peu après
Mon cher ami flashe
sur une Audi A1.
Il la commande,
donne la C1
de bon cœur
à son Momo
avec qui il ne couche plus.
« C’est un très beau cadeau !
s'ébahit Raviot.
– L’argent est mon esclave, pas le contraire !
réponds mon cher ami,
spirituel.
Je l’ai gagné, je le dépense !
Je lui ai aussi offert
son permis poids lourd.
Il me disait
Ah ! mon cher ami,
si j’avais ce permis
comme je gagnerais bien ma vie !
Je vais t’aider, Momo !
»
1500, 2000 euros
il ne sait plus combien.
«
A la fin
il n’était plus le Momo que j'ai connu.
Que t’arrive-t-il ?
Je te taquine, et
tu ne réponds plus !
Il baissait la tête,
ne me regardait plus dans les yeux.
Il est venu chez moi,
je l’ai photographié
sur ma terrasse :
il était moins musclé.
»
«
Un jour il m’a demandé
si l’on pouvait
louer un camion avec des espèces.
Mais non Momo, il faut une carte, pour sûr.
Mais dis-moi, c‘est pour quoi faire ?
– Pour déménager un ami.
– Arrête d’être si gentil avec tes amis,
Momo !
Ils te manipulent !
Ton ami, qu’il se débrouille !
»
Nous sommes fin juin 2016.
Bientôt,
les vacances d'été.
«
Vous saviez qu’il regardait des vidéos
avec des accidents ?
– Oui.
– Ça ne vous a pas étonné ?
– Non. C’est banal chez les jeunes.
– Alcool, cannabis, médoc, cocaïne ?
– Jamais.
– Islam ?
– Jamais. Il disait que sa religion, à lui,
c’étaient les femmes.
Il préférait niquer
que faire la guerre,
m’avait-il dit.
»
«
D’autres choses bizarres ?
– Un dimanche matin, il m’appelle :
mon cher ami, allons dans une église !
Je l’ai amené.
Je lui ai montré l’eau bénite
Il m’a demandé comment faire.
Je lui ai montré.
Il m’a demandé quoi dire.
Dis ce que tu veux.
Ça,
oui,
j’avais trouvé un peu bizarre.
»
«
Discours politique ? Syrie, Palestine ?
– Jamais. Sauf ce samedi où je lui a apporté
le rôti
– vu qu’il mangeait mal
et que je cuisine bien.
Pas un mot gentil,
pas un remerciement.
– Je regarde les infos sur la Syrie !
me lance-t-il.
Nous regardons ensemble.
– Ça t’intéresse, Momo ?
– Non, je regarde juste les infos. Mais...
Mon cher ami,
veux-tu voir
en Syrie
comment l'on traite les gens ?
– Oui.
Et il me montre
sur son ordinateur
des décapitations en série.
J’ai repoussé l’écran :
j’ai trop peur de ces choses-là.
– Mais Momo,
comment peux-tu regarder ça ?
– Je suis habitué, répond-il,
mais sur un ton d’excuses.
Pourtant un jour
il m’avait écrit
Je suis Charlie.
«
A-t-il pu être influencé ?
– Il était influençable.
– Un souvenir précis ?
– Pas sa famille. Plutôt des gens, après.
Ceux qui ont vu sa faiblesse.
C’est la Boulelle qui a fait ça ?
me consternais-je.
Si j’avais compris,
j’aurais su l’en empêcher !
Mais il le savait,
et c’est pourquoi il ne m’a rien dit.
On l’a influencé !
C’est pas possible !
»
«
Vous dites avoir repoussé les vidéos,
pourtant,
il vous en a aussi envoyé une,
d'égorgements et d’empalement,
et vous avez encore essayé de la regarder,
déclarez-vous à la police en août 2016.
– Mais je n’ai à nouveau pas réussi.
– Vous avez déclaré :
je l’aime comme un fils,
vous n’avez pas essayé de parler avec lui
de cette morbide passion ?
– Eh bien non.
»
« Pourquoi, lorsque vous décidez de révéler
votre relation homosexuelle
choisissez-vous Paris Match
plutôt que les enquêteurs ? »
Mon cher ami a tenu un sauna
travaillé dans la pornographie
– qui, par définition,
donne à voir
sans préoccupation artistique
ce qui est supposé
être tenu caché.
Ceci explique peut-être cela.
La Mondaine était à deux doigts
de témoigner à la barre.
Et pourquoi pas ?
tant que nous y sommes !
« Vous a-t-il joué la comédie ?
Non. »
« Il a fait ça pour qu’on parle de lui. »
« Monsieur !
Je suis l'avocat
discret
d'un des accusés.
Vous avez été :
l'ami
l’amant
le proche
le confident
le père de substitut
le bienfaiteur matériel
de l’auteur des faits.
Vous lui avez payé le permis poids lourd,
offert la voiture
qu'il vendit pour financer
la location du camion.
Il vous a montré des vidéos
dé décapitation
et vous saviez qu’il avait uriné
déféqué sur sa femme.
Monsieur,
avez-vous été placé en garde à vue ?
– Non.
– Je n'ai pas d’autre question. »
Mode no comment
mais un commentaire,
tout de même.
(Pas d'éditeur :
on en profite !)
Stop aux raccourcis.
Brigitte Lahaye
Jean Genêt
ont trempé dans bien des choses
mais pas des meurtres de masse.
Combien de vous,
un jour à l’oreille
m’ont avoué
que parfois dans leur intimité
ils avaient fait pire
que ce que je venais
de leur confesser ?
Désormais
les spectres
de l’avant 14 juillet 2016
se succèdent à la barre
et nous voyons comme ils se sont
alignés dans le néant cosmique
comme autant de maillons humains
défaillants et bêtes
pour enfanter le pire.
De défaillance,
chaque survivant
revendiqua sa part.
Nous vîmes que les responsables
ne les suivraient pas.
Qu’attendrions-nous donc
des directement impliqués ?
Je vous l’avais dit,
que les témoignages de victimes
ravagées
ces déchirements
ces hurlements de douleur
– promis j’en ai encore de côté –
seraient dans ce procès
le moment de la plus grande douceur
le temps de l’Amour !
Cette chronique n’est pas dédiée
à Nadine Devillers
Vincent Loquès
Simone Barreto Silva
victimes
de l’attentat du 29 octobre 2020
à la Basilique Notre-Dame de Nice,
ni à leurs familles.
Ils méritent
de bien plus doux champs énergétiques.
Sur eux,
notre amour
et le Salut et la Paix.
"si j'avais su je lui aurais mis des bâtons dans les roues"... en l'occurence notre cher ami lui a surtout construit un pont d'or...
Parfait. Je le vois en chair et os, notre cher ami. Droopyesque! Brilliant, that's exactly what he was.