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  • Photo du rédacteurThierry Vimal

Homo scooter heroïs


Si ça continue

à force de récits

de témoins

de parties civiles

nous aurons bientôt

plus d’hommes debout

sur le marchepied

à l’assaut du camion

que de policiers de faction.


Mais point trop d’ironie :

ils furent quelques-uns,

à le poursuivre vraiment,

ce camion.

Trois, quatre ? Cinq ?

Quand le croquemort les emportera

qu’il les conduise à travers ciels

au père éternel de leur choix.

Et si d’aventure

quelque mythomane

bénéficie du transport

ce ne sera pas bien grave.


D’actes héroïques

il y eut des centaines.

Combien poussèrent autrui

le sauvèrent

y laissèrent une jambe

ou la vie ?

Gloire à eux.


Il est un homme,

s’il était guerrier sioux,

sa tribu l’eût renommé

Âme-fracassée.


Âme-fracassée,

il fut décidé

que le héros

ce ne serait pas toi.

Toi, tu serais celui

qui renonça

parce qu’on lui braquait

un Rr 51 sept soixante-cinq

sur le visage.

Tu te dis imbuvable,

tu ne vois presque plus ton fils

tu as peur de représailles

tu es

Âme-fracassée.


Homo scooter heroïs

au sortir de l’horreur

le téléspectateur

toujours

exige un héros

à surimposer

sur l'abomination.

Peu lui importe

que l’élu soit consentant :

un, sur son héroïsme

deux, sur devenir une star.

Homo scooter heroïs

combien de milliers de mains

se posèrent chaleureuses

sur ton épaule

sans te demander ton avis ?


On gava ton ego

comme une oie landaise

on s'en fit un foie doux

et, le rinçant de Sauternes,

l’on eut du baume au cœur.

Un chutney de figues

du pays niçois

mit la larme à l'œil.

On laissa jeûner ta détresse

ta solitude.

On ne se demanda pas

si ta glorification était, ou non,

compatible

avec ton terrible

sentiment coupable.

Tout le monde sait bien pourtant

que nuit et jour

– survivants que nous sommes –

la culpabilité nous ronge.


Homo scooter heroïs

vacillant à la barre

souffrant des conditions du direct

de l’immensité judiciaire

et peut-être

d’une lourde pharmacopée,

tu sembles prendre une balle,

tressaillir,

à chaque fois qu’ils prononcent

le mot héros.

J’ai bien peur qu’ils ne continuent,

acharnés,

tant que tu ne seras pas par-terre.

Nous savons tous

qu’il s’en fallut de peu.


À ce propos,

Homo scooter heroïs

tu ne nous expliquas pas

pourquoi telle autorité locale

qui t’avait désigné

kakemono officiel

cessa tout à coup de te dérouler

à l’arrière-plan de chacune

de ses apparitions publiques.

Mais où est donc passé

Homo scooter heroïs ?

s’inquiétait le peuple.

Il n’eut de tes nouvelles

qu’en 2019.

Et en 2022

ouït de ce syndrome

crépusculaire.


Homo scooter heroïs

Je n’irai pas revoir

les images

ni qui porte telle chemise

tel t-shirt

gris ou blanc.

Je ne zoomerai plus

pour voir si telle vitre

est ouverte

ou fermée.

Je n'irai pas tester

dans une voiture

s'il est tout à la fois possible

de se battre, tirer

et conduire en zigzags.

D'ailleurs,

rien de ce qui fut possible cette nuit-là

n’est possible.


Y avait-il ton enfant

plus loin dans la foule ?

Tu n’en as plus parlé.


Si j’avais grandi dans les docklands de Belfast

Aurais-je eu la force… ?

dit la chanson.

On ne saura jamais ce qu’on a vraiment

dans nos ventres…

Aurait-on, ou pas,

poursuivi le camion ?

Statistiquement : non.


Mais n’importe qui

sachant son enfant devant

aurait plongé

bille en tête

dans l’arbre à came

pour stopper le danger.

Il n'est pas question d'héroïsme,

ni même de décision :

la nature commande

et le parent obéit.


Et sinon, vous avez dû contourner des barrières

pour entrer sur le trottoir en scooter ?

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