top of page
Rechercher
  • Photo du rédacteurThierry Vimal

Kayla et la dame en rose

Elle tremble de partout,

Alexandra.

De la glotte surtout.

Halète

– Catherine Frot

dans un rôle de

psychotraumatisée

– le personnage aurait

des antécédents compliqués.


D’ailleurs elle en a :

toute sa vie ou presque :

troubles du comportement alimentaire.

Elle va nous parler du courage

d’une enfant de six ans

qui l’habite encore.

Nous allons voir

à quel point.


Le gentil fantôme

qui hanta Alexandra

en vérité, ne la hanta pas.

C’est juste que l'entrée

de l'enfant dans sa matrice

fut tout ce qu’il y a de trash.

Accouchement inversé.

Encouchement.


Alexandra n’aime pas la foule

mais elle était tout de même

au feu d’artifice.

Ça arrive

même aux plus sauvages.


Quand elle s’est enfuie

de la trajectoire du camion

il l’a pourchassée.

Quand on a vu les images,

on se représente tout à fait

pourchassée.

Elle a encore bougé,

à nouveau,

il l’a pourchassée.

Elle a plongé

comme un gardien de football.


Sauve après la charge,

elle voit

allongée par-terre

une petite fille métisse.

C’est celle de la chronique

Expérience collective organique.

Celle qui quitta notre monde

dans le même hôpital

que la Señorita.

Sa première nouvelle copine

de mort.


Alexandra s’est agenouillée

auprès de Kayla.

« Où as-tu mal ? »

La petite ne parlait pas.

Mais

autour de son ventre,

elle fit des signes en cercles.


Dans ce tableau

il est beaucoup question

de ventre féminin.


Alexandra retrousse la jupe de la petite

et ce qu’elle voit,

encore aujourd’hui,

reste

dans ses yeux

imprimé comme le soleil quand on le regarde.


Un os saillant,

ça pisse le sang.

Elle stoppe l’hémorragie

en rentrant ses mains

dans Kayla.


Tout près, du monde rassemblé :

un autre corps

une femme noire.

La maman.

À la petite

Alexandra parle de Dora l’exploratrice.

Pour un garçon, explique-t-elle,

des dinosaures

auraient été plus appropriés.


Près de la mère

un homme

l’invite à lire sur ses lèvres :

elle est morte.


Aussitôt,

Alexandra dit à Kayla :

« tout va bien ».

Aussitôt,

Alexandra imagine Kayla

sur un banc de l’Université

la détestant encore

de ce mensonge.

"Mais Kayla n’ira jamais à l’Université."


(Au fait, précise-t-elle au passage,

je n’ai vu aucune sécurité.)


Alexandra a entendu

beaucoup de témoignages.

Eh bien pour elle,

les sens sollicités

ne sont pas les mêmes que les autres.


Eux parlent de vue,

d’ouïe,

et souvent,

d’odorat.


Elle, c’est le toucher.

Bouchant l’hémorragie.

« Je pouvais sentir

ses petits organes

dans mes mains. »


Un peu après

un violent mal de tête

l’oblige à prendre du paracétamol.

Alors,

portant sa main à sa bouche,

elle perçoit le goût

du sang de Kayla.


"Des gens filmaient ceux

qui étaient en train de mourir."


L’ambulance est venue chercher Kayla.

Alexandra l’a mise vivante dedans.


Juste après, lui rapporta-t-on,

Alexandra était

dure comme du bois.

Pendant une semaine, elle fut

conquérante.

"J’avais sauvé une enfant."

Elle apprend son décès

le 21

dans un supermarché.

Black-out.


Pendant neuf mois

neuf mois

Alexandra n’a pas dormi dans son lit

mais assise à son bar

le front contre son mug

à s'en faire une crevasse toute ronde.


Passés ces neuf mois

de dégestation

elle est retournée au lit.

Kayla,

elle la portera pour toujours

douce et douloureuse

petite boule

dans son ventre troublé.


Et voilà.

Elle est venue au procès.

Elle a voulu voir la vidéo :

besoin de comprendre les faits

vus de l’extérieur.

Pour elle,

la vie humaine semble être

avant tout

une histoire d’intérieur et d’extérieur.


Ele est venue à la barre

poser ce sac.

Telle une cigogne

mais sans Kayla dedans

juste les affaires

dont ni la petite

ni elle

n’auront encore besoin.


Alexandra livre un enseignement

aux accusés,

aux radicalisés, aux fanatiques

et aussi

aux victimes assoiffées de vengeance :

elle est bien placée pour le dire,

à tous :

faire du mal n’a jamais fait de bien.


Certaines choses restent à rapporter :


notamment

la toute première phrase de sa déposition :

"en ce moment je vais mal

mais ça n’a rien à voir avec ces événements."


Ses cheveux sont

un complexe dégradé de roses

du mauve au pêche

du fuchsia au rose bonbon.

Ses sourcils

sont tracés au marqueur Velleda.


Il y a six ans

Kayla avait six ans.

Aujourd’hui

elle n’a plus d’ans.

Peut-être, même,

disparaît-elle

du ventre d’Alexandra

pour se dissoudre tout entière

s'intégrer à l’ADN

d’un chromosome

de chaque cellule

du corps

de Mother Alexandra.


Et bientôt peut-être

qui sait

Alexandra aimera-t-elle

son visage normal

et pourra-t-elle

le remettre.




558 vues6 commentaires

Posts récents

Voir tout

LEDA

bottom of page