Zace Enkeledja
dite Leda,
48 ans,
accusée d’avoir participé
(traduction, emballage)
à la transaction
du pistolet du tueur
et d’une kalach H.S.,
entre messieurs Arefa
– dit Ramzi-le-Cash –
et Henaj Artan
– dit Giovanni.
Pour être dans les clous
féminins
faut-il
absoudre la seule accusée
de ce ramassis de viriles
méchanceté
débilité
arrogance ?
Ou bien
au nom de l’égalité
ne point chercher à
l’innocenter
et la charger tout pareil ?
Le second choix paraît
préférable
moins sexiste
mais l’on sent qu’on va
déraper vers le premier.
Apitoiement bourgeois
de mâle cisgenre
hétéro blanc
(on les collectionne,
comme Henaj les chefs d’accusation)
sur prolétariat féminin ?
Vous me direz.
En tout cas je renonce
à intituler cette chronique
LA FEMME DE HÉNAJ.
Tous nos Albanais
ont ce qu’on appelle
roulé leur bosse.
De Grèce en Allemagne
d'Italie en Crète.
(Le jeune Maksim dormait dans la rue
au début du procès
c’est pourquoi le Président
le laissait roupiller.
Maintenant il loue une caravane
à Combs-la-Ville.)
Leda grandit en Albanie
Je la vois gamine :
cheffe de bande
Zora la brune
courant pieds nus
poignard aux dents
bandana
dans les faubourgs de Tirana
(ça veut dire les banlieues)
pour échapper
à la police communiste
qui la trouve
capitaliste
à l’égard
des étalages de pommes.
Je la vois plus tard
adolescente :
les bras de cuivre
pleins de bracelets
avec ses trois meilleurs amis
à bord d’un grand condor
recherchant des cités d’or.
Elle est encore
noble fille du soleil.
On la retrouve ensuite
dirais-je
amérindienne
Pocahontas
(la vraie
pas celle de WD)
dont les noms authentiques sont
(source Wikipedia)
Fleur-entre-deux-ruisseaux
et
Initiée-à-la-vision-de-rêves
– Pocahontas
signifiant
« petite dévergondée ».
Quand Leda arrive en France.
Le soleil a fini de la cuire de beauté
(avec la peau)
mais leur pacte était stricte :
elle dut laisser l'astre
lui brûler le cerveau
au troisième degré.
Elle trouve un mari.
Elle donne naissance à V.
Leda regarde le sol
jamais le Président.
La lumière tiède
dans son blond platiné
donne du relief à ses yeux
d’une effrayante gravité.
Leda porte une lourde croix
qu’elle ne posera pas
aujourd’hui
ni aucun autre jour
sans doute
comme tous ses acolytes
et tous les pauvres de nous.
Quand son mari s’enfuit
au Canada
avec une autre
la voici
seule avec V.
Alors
Leda près de Thionville
commet
son premier acte de prostitution.
Second mari : mieux.
Deux autres enfants.
Travaille à Monaco,
Nice.
Puis :
plainte pour violences
conjugales.
Classée sans suite.
Divorce.
« Une relation qui se passe bien
et qui finit mal,
comme souvent,
malheureusement. »
philosophe le Président
– référence :
Rita Mitsouko.
Une douzaine d’adresses à Nice
– la moitié rue Miollis.
La justice donne la garde
des deux petits
au père.
« Pourquoi au père ? »
Parce qu’elle était malade,
et pauvre.
Elle travaille, encore.
Pour une boîte de
nettoyage nommée Désir.
« Ça ne fait pas très nettoyage, Désir »
s’étonne le Président.
Non, juste, elle y faisait le ménage.
Agent de propreté,
conditionneuse,
Leda a eu beaucoup d’emplois
déclarés.
Oui,
absolument,
acquiesce-t-elle
avec le fier aplomb
d’une vieille squaw à calumet.
Mais pas seulement du légal,
nous apprend-on soudain :
Ouverture d’un bar
sans aucune déclaration.
Escroquerie.
En 1998, tentative de transport d’étrangers
« Ils vous ont abordés à la gare
de Vintimille
où vous étiez venue acheter des cigarettes
en Citroën Évasion huit places ?
– Oui, on les aite,
comme ils ont un petit enfant. »
En 2000, 2001, 2003 :
racolage.
En 2008, menaces et violences.
En 2014, vol en réunion.
Tenue de jeu de hasard sur un lieu public
– bonneteau.
Proxénétisme aggravé
Usurpation de titre.
En 2014
mort de son père
Elle s’en est beaucoup occupée
quand il était malade.
70 000 euros d’héritage :
achat d’un restaurant
près de la gare de Nice
le Balkan.
70 000 €
un restaurant
juste mon budget
mon projet
– faire une offre.
Irruption dans sa vie :
Giovanni
sans qui
peut-être
elle n’eût jamais connu
la cour d’Assises.
Il est juste arrivé en France
par hasard à Nice.
« Vous allez tomber amoureuse
de monsieur Henaj ?
–Malheureusement, oui. »
Henaj la demande
en mariage.
Il peut courir :
il veut juste des papiers.
On la lui fait pas comme ça,
à Leda.
Va pour un Pacs.
Leur appartement :
un deux-pièces.
« Il y en a un salon-cuissine
il y en a une champre.
Il y en a un couloir.
Il y en a une touche. »
55 mètres-carrés.
« C’est petit, non ? demande le Président.
– Non non, c’est grand ! »
Ils ne sont pas de la même…
– vous savez quoi.
Le bar restaurant n’a pas marché.
Elle ignore pourquoi.
Peut-être à cause
des treize tables ?
Il suffisait d’en coller deux.
Liquidation judiciaire en 2016.
Elle a tout perdu
presque.
RSA et travail au noir
dans un autre bar.
Elle gagne… peut-être…
70 euros de pourboire ?
« Expliquez-nous
cette histoire de
proxénétisme aggravé.
« Monsieur Chuche… »
lui chuchote-t-elle
en aparté
« il ne faut pas parler de prostitution,
ici,
car il y a beaucoup
de familles blessées ».
Sa voix serpente.
Une langue longue et étroite
fourchue
frémissante
s'est laissée entrevoir.
Méduse !
Ses consonnes occlusives
claquent des pops
dans le micro.
Le président
est mécontent.
Il lui déconseille fortement
ce terrain-là.
Qu’elle s’explique sur les faits !
« Che feux pas en parler. Non. »
Leda fait non de la tête
secouant ses grands cheveux
peroxydés.
« Non non.
Pas en parler.
Chut.
– Alors n’en parlez pas.
– Merci.
– Ne me dites pas merci :
ce n’est pas par gentillesse
c’est la loi. »
(Si la loi voulait obliger
quelqu’un à parler
elle devrait rétablir
la torture
ou les sérums.)
Quand Leda reçoit l’héritage,
finit-elle par lâcher,
quelqu’un de sa famille
lorgne dessus.
Leda règle le problème
à l’amiable.
Il ne sous sera donc pas révélé
– et c'est regrettable –
comment
l’on peut régler un conflit familial
d’héritage
à l'amiable
en recourant
au proxénétisme aggravé.
« Est-ce que vous travailliez
au moment de votre interpellation ? »
Mon Dieu,
que n’a-t-il demandé,
honteux Procureur !
Leda est furie !
Ses yeux outrés
habités
vont transformer
toute l’assistance en pierre !
Maudits soyons-nous,
tous !
Comment sommes-nous si bêtes ?
Comment se souviendrait-elle
de ce qu'elle faisait
quand tous ces policiers
ont débarqué chez elle ?
« Afec les kalashnikov,
lé sniper là-haut,
qué tu crois qué
qu’il fa tirer dans ta tête ! »
(possédée
elle pointe son front
avec son doigt)
« Ma ché mé rappelle plus,
si ché trafaille ! »
« Le bar où vous travaillez
est-il calme ? »
Calme ?
Beaucoup de monde !
Il y en a de la musique orientale.
Il y en a beaucoup de gens.
Ils boivent peut-être dix bières
à la onzième
ils changent de comportement.
Il y en a des bagarres,
avec des bouteilles.
Une fois
elle est agressée.
« Le 6 juillet 2016
premier jour du ramadan
votre patron vire un client
qui a osé commander de l’alcool.
Il revient plus tard,
gifle la serveuse.
– Non ce n’était pas moi. »
La drogue ?
Là, vraiment,
Leda se fâche !
Son visage tourne au violacé.
Ses yeux s’allument en vert.
Ses mèches ondulent
comme des vipères.
Elle a des kalach de venin
en réserve.
Ces gens sont sanguins.
Vous verriez une engueulade
(en salle des pleurs)
entre deux interprètes albanaises !
Leda engueule le Président
et aussi Dieu :
Comment ça,
certains se font des milliards,
avec la drogue,
et c’est elle qu’on embête ?
« Escoussez-moi,
Monsieur Chuche ! »
mais c’est un peu fort !
Comment ça,
tous ces gens
ont témoigné
qu’elle trafiquait de la cocaïne ?
Comment ça,
c’est elle qui fournissait
quand Giovanni était absent ?
Ils mentent ! Tous !
Parce qu’ils ont peur
chuinte-t-elle.
Comme si elle n’avait pas mieux à faire
avec son restaurant et tout ça !
« Giovanni né fendait pas,
en tout cas ché sais pas,
il ramène comme ça
un cramme ou teux,
on prend une pétite ligne
comme ça.
Mais s’il fend
ché sais pas ».
On n’aimerait pas
se disputer avec
une Leda sous cocaïne
mauvaises griffures
elle te crève les yeux.
« Avec Giovanni
dans sa voiture jaune
vous montez boire un verre
à Thionville
avec votre cousine
malade
vous redescendez
le lendemain.
Tout ce voyage
pour quelques heures ?
« Ch’ai le troit, non ? »
Ah, Thionville, plaque tournante du trafic
de drogue
de femmes
ironisera
la Défense.
« Giovanni vendait,
madame Zace.
En demi-gros.
Et chez vous !
Il l’a reconnu. »
Non mais alors !
Mais qu’est-ce que nous croyons ?
Leda pédagogue :
son compagnon,
un baron de la drogue,
et elle,
elle va travailler pour 70 euros
pour prendre des coups de bouteille
par les gens qui ont bu
– et en plus ils vous touchent ?
Et où ils sont ces sous,
hein,
où ils sont ?
« Giovanni et Ramzi
avouent l’un et l’autre
qu’ils étaient partenaires :
semi-grossiste
et détaillant.
Lorsqu’on vous montre
en garde à vue
la photo de Ramzi
vous prétendez ne l’avoir jamais vu.
Mais lui, sur photo,
vous reconnaît ! »
Il a pu passer au café.
Pourquoi a-t-elle son numéro
dans son téléphone ?
Giovanni le lui emprunte
souvent.
Leda ne connaît pas Arefa,
ni lui là dans le box
crie-t-elle,
ni cet autre-là !
Elle ne les avait jamais vus
avant le procès !
« On ne montre pas les gens du doigt
Madame Zace.
Nous ne sommes pas dans une foire.
Ça ne se fait pas.
– Ça s’fait. »
En dépit de dizaines
de témoignages accablants
Leda tient tête :
« Madame Chuche
il faut chercher la férité.
Il y en avait 250 personnes
en garde à vue.
– Et ça ne vous paraît pas justifié ? »
Oui, bien sûr,
que ça lui paraît justifié.
L’État français,
il a bien fait son travail.
Leda forme un cercle
avec son pouce et son index
et à leur jointure
dépose
un bruyant baiser.
« Mais qué moi ché paye pour les autres ?
Ça non non non non non.
Il faut qué chacun assume
ça qu’il a fait. »
À présent,
Madame Zace,
la question des armes.
« Votre ancien compagnon
Monsieur Henaj
dit Giovanni
lui
a bien perçu que nous avons
86 morts.
Que la situation est tendue
et qu’il faut en sortir.
C’est pourquoi il nous dit
la vérité sur les armes.
Il se reproche des choses
à lui-même.
Il ne vous incrimine pas.
Il vous demande juste de dire
vous aussi
la vérité :
vous avez vu
ce pistolet. »
Mais mais mais...
Mais si Leda trouve
une telle arme chez elle...
mais…
« Mais madame Chuche ! »
elle va penser
que c’est pour la tuer !
Giovanni veut la tuer
car elle veut le quitter !
Elle montre son front :
« Régarde ma cicatrice,
là.
Il mé frappe ! »
Disant ces mots
pour la toute première fois du procès
Leda
sourit.
« Non Madame,
la cour n’est pas médecin
elle ne regarde pas les cicatrices.
– Giovanni il fait les bakarres,
comme un ours ! »
Le R de ours a roulé
très fort et très long.
La salle a sursauté.
À présent Leda imite l'animal
en agitant les bras
et poussant des cris
de chimpanzée.
Puis elle siffle
pour montrer que hop
du balai
Giovanni
il dégage en prison.
En prison
Giovanni y est déjà
pour d’autres faits.
Il lui a écrit
des lettres d’amour.
Signe-t-il Ton Giovanni ?
En tout cas,
répond-elle,
elle ne veut plus entendre parler de lui
jamais.
En plus,
il est infidèle.
Oui oui oui
il l’a frappée !
Là, sur la tête.
Qu'on regarde
sa cicatrice !
« Non Madame,
la cour ne regardera pas
votre cicatrice
et pour tout vous dire
je ne vois pas la moindre
cicatrice. »
« Il me frappe
en public !
Pas en cachette à la maisson !
En cachette à la maisson
il me fait autre chosse.
– Mais pourquoi avoir répété
dans vos nombreuses auditions
de garde à vue
qu’il n’était
jamais violent ? »
« Revenons aux armes,
madame.
Giovanni dit vous avoir donné
cent euros
pour la vente du pistolet. »
Leda est atterrée.
Mais comprendront-ils,
à la fin,
Monsieur chuche
Madame chuche,
qu’elle est commerçante
en conséquence de quoi
elle se fout bien de cent euros ?
« Comment expliquez-vous
que Giovanni et M. Arefa
racontent exactement la même chose
sur votre participation
sans avoir pu se concerter ?
Tous deux soutiennent
que vous avez traduit,
emballé l’arme
dans une serviette.
– Mais parce qué
Madame chuche… »
Leda chuchote à nouveau
dans le micro.
Mystérieuse
agitant les doigts
comme pour tenir en haleine
un public d’enfants.
La voix baisse encore.
Un grand secret va être révélé
sur leur complot :
« Ils passent tes heures
comme ça
longtemps
ils parlent
ils tisent des trucs. »
« Moi ché paye pour les autres ?
Non non non non non.
Il faut qué chacun assume
ça qu’il a fait. »
« Et monsieur Bouhlel
vous l’aviez déjà vu ?
– Mais chamais.
Chamais. »
« Bien », ponctue le Président.
« Et sinon,
qu’est-ce que vous avez fait en prison ?
– Qu’est-ce que fous foulez que ché fasse ?
Y en a qué quatre murs
et ché pleure
tous les chours
et ché parle
qué avec les pichons,
ché leur tonne
tes petits pouts de pain.
Ché né dors plus. »
Avant
elle était quelqu’un de bien,
à présent
avec tous ces mensonges
toutes ces injustices,
cette incarcération,
Leda a des angoisses
elle est dépressive
ne possède plus rien
vé plus faire l'amour.
Sa fille doit lui donner de l’argent
pour qu’elle se nourrisse.
Elle a quatre petits enfants.
Le quatrième
est arrivé
pendant le procès.
Heureusement
à Nice
tout le monde la sait
innocente.
Elle vit dans un studio
du RSA.
Femme de ménage
de temps en temps.
Aucun de ses proches
n’est venu à la barre
la défendre.
« Après l’attentat,
toute ma famille
m’a abantonnée.
Toute.
Abantonnée. »
Même sa fille
a refusé.
Sa mère,
accusée de terrorisme ?
C’est terrible !
Leda pleure, presque,
se rattrape
se retient.
« Mais vous n’êtes plus accusée de terrorisme !
Madame Zace,
clame son avocat.
– Pas possible leur expliquer
C’est horrible
d’être accussé
dé terrorisme. »
Apitoiement bourgeois
de mâle cisgenre
hétéro blanc
sur prolétariat féminin ?
Vous me direz.
Pocahontas? Artiste? Vous êtes gentils! Pour moi c’est plutôt une sorcière abjecte, autant par ses mensonges que par son comportement! Pour la féministe que je suis, il est hors de question de lui trouver des excuses…
Merci d’avoir si justement retranscrit ses paroles, difficilement compréhensibles :
la « Chuche » elle-même en a fait les frais à plusieurs reprises!
Elle est gratinée Pocahontas !
Pitoyable dans sa piètre commedia del Arte cette femme.
Quel sketch! C’est trap drôle
et affligeant
La fabuleuse imitation de l'ours était vraiment à voir, une artiste la blanche-neige albanaise...
Une Mado la niçoise version Tirana...
Mais je t'avoue avoir été un peu déçue, je m'attendais à plus de spectacle, un suicide de Calimero Hartan en direct ( ça craint il me fait presque de la peine...), une grosse embrouille intraductible entre le trio arefa/Hartan/Zace, l'évacuation de Leda après une crise de folie....
J'ai annulé une invitation pensant finir trop tard... 18h05... et pompon sur la Garonne pas de question des avocats de la partie civile... ( je remarque que le vendredi soir ils disparaissent tôt... apero ou shabbat?... ... ...)