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  • Photo du rédacteurThierry Vimal

Finalement je vais à la barre

Dernière mise à jour : 30 sept. 2022


Finalement je vais

à la barre.

J’expliquerai ce revirement

à la barre.


Et ici.


En 2016

j’ai refusé d’être partie civile.


Souvent

je comprends ce que j’ai fait

longtemps après l’avoir fait :


C’était un problème de

grosse machine.

État

Municipalité

Vatican

Médecine légale

Justice

Terminé les grosses machines

pour s’occuper

de ma Señorita poids plume

– j’arrivais presque encore

à la lancer

dans la piscine.


Pas être partie civile.

Pas assister aux gesticulations

de la grande dramaturgie

pénale.


Pas les cris de la populace

Mille monstres bêtes

escaladant

yeux exorbités

bave aux lèvres

les grilles du palais

criant des

salaud ! fumier ! à mort !

braillant que l’affront

doit être lavé dans le sang

– sans se demander si

nous avons envie d’entendre ça.


Naïf que j’étais !

Obsolète !

Ceux-là n’escaladent plus les grilles !

le smartphone est plus sûr,

confortable et anonyme.


Aucun avocat (Ghost ghoster’s !)

– jusqu’à Maître Le Roy –

ne trouvant qu’il y ait matière à s’offusquer

du prélèvement secret

des organes de quatorze victimes

Quatorze quatorze quatorze

je n’eus pas davantage envie

de nouer partenariat

avec cette engeance

rompue à l’alchimie

de la technique et du malheur.


Mais.

Sachant combien il m’est facile

de me haïr

d’avoir fait tel mauvais choix…

il me parut prudent

ce début d’année

de m'ouvrir l'accès aux audiences.

Je me portai donc partie civile.


Mais je n’irais pas au tribunal.

Ou bien irais-je ?

Ou pas ?

Si ?

Non ?

Je tâchai de me représenter

la salle d’audience

et j’y aperçus

une chaise de chroniqueur.

En route pour Paris !


Mince ! Les autres chaises de chroniqueur :

vides !

Presque une responsabilité !

Il allait falloir être moins hermétique

plus factuel et didactique.


J’assistai, chroniquai, assistai, chroniquai.

Sans droit de sortir mon ordinateur

ni mon téléphone

dans la salle

car il faut une accréditation presse

et pour être à la fois

partie civile et accrédité presse

il semblerait qu’il faille

être victime parisienne.

Un Niçois,

écrivant une chronique

d'adulte ?

Ha ha ha !


Pour la première fois

dans les couloirs du Palais

les victimes semblaient

bien s’aimer.

Presque, être contentes de se voir.

Comme si leurs douleurs

ne se tamponnaient plus

mais allaient dans le même sens.

Comme un groupe.

Ça donnait envie de s'approcher.


Vint le temps des témoignages.

Et toi, alors, pourquoi tu n’y vas pas ?

Comment ça, tu-n’y-vas-pas ?


Non !

J’ai écrit une oraison

un livre de mille pages

sur mon drame.

Un autre de trois cents

sur comment peut tourner un enfant

victime de terrorisme.

Une dizaine de discours

des communiqués et dossiers de presse

des posts

un site web

une chronique

on m’a entendu à la télé, la radio

dans la presse écrite

pour mon drame

pour mes livres

pour une association…


On m’a assez vu.


Le dispositif d’audience

contraint les parties civiles

à parler chacune

leur tour venu.

Elles ne peuvent pas se couper la parole.

Miracle !

Pour la première fois

depuis six ans

les victimes,

s’écoutent !

Ça ne durera qu’un temps,

savourons-le

prenons-y de la force.


Me désister ?

Pas corporate.

Vaniteux.

La barre c’est pour le peuple,

moi c’est la grande littérature ?

Arrogant.

Haute trahison.


Ne manquait plus que

l’élément déclencheur.

« Vas-y, à la barre »

me dit l’autre papa

endeuillé d’une ado.

Et le disant

il pose ses mains

à plat sur mon ventre,

comme si nous étions

deux copines enceintes.

« ‘D’accord, Jacques.

j’irai. »


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