Garde à vue.
Il ne nous est pas décrit
– et c’est regrettable
ça nous aurait fait rire un peu –
la tête de Ramzi
quand dans son cerveau s’alignent
Bouhlel le coké acheteur d’arme
le carnage de l’avant-veille
et lui.
En tout cas,
en une fraction de seconde
il comprend que jamais dans sa vie
il n’a été autant
dans la merde.
Nous savons qu’il
hyper-stressa
pleura
vomit.
On dut le conduire à l’hôpital
dont il revint
lexomilé.
« Mon frère fait une erreur
de débutant !
On ne vend pas d’arme
à un inconnu !
J’ai surnommé cette affaire
la plus mauvaise transaction du siècle. »
L’on parade, encore,
en pleine audience
on confirme qu’on voit tout cela
sous l’angle du business.
Les 86 morts
sont
un passif énorme
entraînant des difficultés
juridiques et commerciales.
J’ai surnommé le témoignage du frère
la plus mauvaise défense du siècle.
Fouilles,
perquisitions
(appartements
caves
commerces de la rue Marceau) :
185 grammes de cocaïne
de chez Giovanni,
250 cartes d’assurance vierges
11 téléphones
une trentaine de cartes SIM
une console de jeu
un poster tuto sur la prière
630 euros
des feuilles avec
des noms et des chiffres
(un début de compta
pour le salon de coiffure)
du cannabis dans le coffre-fort
de l’épicerie
(consommation personnelle)
un 7.65
des munitions,
cartouches…
("Pardon mais les armes circulent,
ouais,
et circuleront toujours")
une enveloppe de 1500 euros
une autre de 1000
(le RSA de sa mère.
Pourquoi l’a-t-elle changé en cash ?
Ah mon dieu mais pardon
votre question me choque beaucoup
M. le Président.
Elle attaque ma dignité de bon fils.
Mais de quel droit enfin,
de quel droit
demanderais-je à ma mère
de me rendre des comptes
sur ce qu’elle fait de son argent ?)
un sac Ice-o-lator
pour fabriquer du shit.
En prison
QER
(Quartier d’évaluation de la radicalisation)
Ramzi-le-Cash
est malheureux.
Il souffre d’être seul
et pris pour un terroriste.
« C’est l’école du djihad,
ça ne parle que de religion. »
S’il était fou
il pourrait tomber dedans.
Au QER
Ramzi n’est pas diagnostiqué
radicalisé.
Que non.
Le bilan le dit même
très éloigné
de la pratique religieuse.
Pourtant
plus tard
en détention ordinaire
quand on le sait impliqué dans l’attentat,
on lui casse toute sa cellule,
on lui écrase la tête à coups de poing.
Ses propres confrères gangsters
ses semblables
les siens
le prennent pour un terroriste !
Comme c’est lourd à porter.
Il doit se battre
pour accéder aux activités
à la cantine
les bagarres sont courantes
– il ne supporte pas les approches
pour radicalisation.
Il n’aime pas qu’on le prenne
pour un chien perdu
manipulable.
Rien ne met plus en rogne
Ramzy-le-Cash.
« Un gars s’est fait tabasser
sur ordre d’un caïd
on raconte que vous étiez
dans le groupe…
– On dit tant de choses sur moi
– l’ADN prouve qu’on vous a
a envoyé le tabasser !
– PERSONNE !
Personne ne
m’envoie faire quelque chose
Madame la présidente ! »
Piqué dans ce qu’il prend
pour de l’honneur
et qui n’est rien d’autre
que défaillance narcissique
de voyou frustré.
(Au moins nous donne-t-il
les clés
pour le faire sortir de ses gonds.)
Son nom est sali.
Il sait pourquoi il est là.
Il assume.
Il a beaucoup réfléchi.
Il a compris.
Il était
un petit con égoïste.
Il doit s’instruire.
Il lit ses premiers livres.
Grâce à la détention
il évolue.
"Et vous avez lu quoi en détention ?
tente-t-on de le coincer.
– Agatha Christie, Marie-Higgins Clark."
Même pas 19 tonnes.
"Est-ce que votre parcours de délinquance
fait que vous vous sentez illégitime
pour la religion ?
tente-t-on
plus perfidement encore
de le coincer.
Non, je suis plus près d’un athée que d’un religieux."
Désormais,
à la barre,
(celle du box)
l’heure est au repentir.
Il s’est ouvert
grâce à un psy
grâce aux activités
écriture poème dessin
rencontre de rappeurs
d’auteurs et de scénaristes.
Il voit plus grand.
Fumer
conduire sans permis
tout ça
c’est terminé.
« J’étais un petit con égoïste
et je vais me rééduquer ».
Il ne sera plus attiré
par l’argent facile.
C’est-à-dire que ces années d’incarcération
six pour l’attentat
ces tabassages
ce danger permanent
ces mains dans la merde
ces mises en danger de sa propre famille
Ramzi appelle cela
de l’argent facile.
Avec son éducateur
Ramzi a créé des CV.
Sens absolu du commerce
pouvoir de persuasion
caractère déterminé
garde son sang froid
ateliers calligraphie
suivi du cour de l’or
lecture
techniques de braquage.
« Je préfèrerais
être sous un pont
que dans ce box. »
« Il est plus honorable
de réussir sans gruger. »
« Je préfère être condamné lourd
pour trafic d’armes
que condamné moins
pour cause de terrorisme ».
Ramzi a envie de cultiver
du chanvre légal
d'entreprendre
dans la distribution de WC
de nouvelle génération.
S’il dit vrai
s'il le fait
il sera bon.
Et si j’investissais
dans son projet
mes indemnités du Fonds de garantie ?
Ça ce serait du symbole !
Ouverture
Résilience
Espoir
Miséricorde.
Mais.
J’ai acheté tant de drogue
je sais comme les dealers
sont les pires des crevures
dernière race animale
avant les blattes.
Dès que je tournerai le dos
il me foutra un coup de bâton.
Ou pas ?
À la barre
successivement
nous n’avons pas cru :
le menteur
l’amnésique
devons-nous croire
le repenti ?
Nous aimerions que nos morts
rendent gentil
au moins un méchant.
Ça nous ferait du bien au moral
à tous.
Comme si ça les surclassait
au paradis.
Ridicule :
ils sont déjà en première classe,
tous les occupants du paradis
sont en première classe.
Ramzi-le-Repenti, as-tu la force
de charger cette mission
sur tes épaules
tout en sachant que jamais
tu n’en seras gratifié ?
– sinon dans les cieux
auxquels tu ne crois guère
et dans le cœur de quelques rares
et dans ceux de nos morts.
Ô AREFA !
As-tu le courage
de devenir
un homme heureux ?
Figure-toi que moi,
pour moi,
j’y crois encore
alors
tu devrais pouvoir.
« Monsieur Arefa,
dans l’hypothèse que M. Bouhlel
n’ait pas été en plein délire
psychotique
mais qu’il ait voulu
sciemment
vous piéger,
vous faire tomber avec lui,
auriez-vous une idée de
ses raisons ?
– Non.
Peut-être...
il se venge...
car j’ai essayé de l’escroquer
et que je lui parlais durement
avec beaucoup de mépris
comme à tous les drogués ?
Je lui montre qu’il m’agace,
quoi. »
Ramzi le Cash ne connaissait pas le nom
de Ghraieb Mohamed Oualid.
Toutefois
il le reconnut sur photo :
« le genre de blédard
à qui j’ai vendu deux ou trois fois
de la cocaïne
et qui va de PMU en PMU
et de bière en bière. »
Mépris total
pour qui n’achète
qu’une seule Mercedes
et fait des boulots de larbin.
Ramzi suinte
le mépris social
le racisme de classe.
Il respecte le Président
dédaigne les caves que nous sommes
vous et moi.
En termes de sociologie
ses vêtements
sont plus chers
que les miens.
Sans doute encore plus bas :
les flics
et vraiment tout en bas
les toxicos
(sans compter
peut-être
les Albanais
mais ça
il n'aurait pas intérêt
à le faire savoir.)
Bouhlel l’appelle sur sa ligne-pour-tox ?
Lui, les tox, s’il est occupé,
il ne leur répond pas !
Ils peuvent attendre.
« Un client de coke
faut jamais lui parler gentiment
en ami
faut prendre le dessus sur lui
tout de suite
tout le temps
lui parler durement
c’est des camés
on apprend ça
dès qu’on se met à vendre
de la cocaïne. »
Bouhlel
il lui parlait comme ça
comme à un toxico.
(Le même mépris
peut-être
qu'une star du football
volant vers le Qatar
en première classe
à l’égard de son fan
nourricier
assis dans un TGV.)
Les tox
sont leurs esclaves.
Ils les tiennent.
Les plus accros
sont les plus dominés :
on les oblige à faire des choses
cacher des trucs
tester des produits nouveaux
plus ou moins certains.
Allez voir une vidéo
sur ce qu’est un fumeur de crack.
Son état de souffrance
sa misère extrême
son enfonçant remords
son indignité résignée
sa détresse absolue.
Ça pourrait être votre fille.
Si si.
Voilà la benzine
qui fait rouler les voitures
de luxe
de nos amis.
Le mépris quand il parle d’eux
en audience
est tout à fait
entier.
La moindre trace
de rédemption
commencerait par un sentiment
de respect
de regret
à l’égard de ceux
dont il a exploité la misère.
Il n’y a pas
de repentir.
Pas une once.
Ramzi-le-Cash a de sincères regrets
mais seulement pour lui
et son coquin de sort.
Pour ceux à qui il a fait du mal
ça lui passe
à dix mille au-dessus de la tête.
Les victimes du 14 juillet
à vingt mille.
Incapacité totale
à la compassion.
Tant qu’ils pourront
ses frères continueront
à exploiter humilier autrui
et ça fera encore
beaucoup d’histoires.
En faisant plonger Ramzi,
Bouhlel aurait-il fait
quelque chose de chouette ?
Quand elle sut qu’il avait photographié
tous ses amis devant le camion
avant l’attentat,
Petite-sœur s’est mise à le surnommer
Mohamed Bien-ouèj Bouhlel.
Suis-je en train de verser
dans une sorte de
syndrome de Stockholm
envers celui dont
à vie
je suis l’otage ?
Chez M. Arefa
il n'y a qu'une seule chose
d'extrêmement belle
grande
brillante
resplendissante
d'engagement
d’intelligence
et d'aplomb
mais
je ne vais pas la nommer
– ça me ferait passer
pour une sorte
de PPDA.
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