Le vent dans un micro
soufflant fort
sur la Promenade des Anglais
15 juillet 2016 au matin.
L’image : instable.
Du caméra sur l’épaule
ou plus certainement
du smarthone
à hauteur de ventre
– dissimulé peut-être
caméra cachée
cash investigation.
Pléthore de scooters
garés.
Au loin
l’Appolon de Janniot
que les Niçois surnomment
le Puceau
Un visage
furtivement
passe
repasse :
Ghraieb.
Cette chronique-là
franchement
je sais pas.
Franchement
le temps des accusés
m'est moins inspirant.
Dépassé
par la quantité de données
de bêtise
de choses et leur contraire.
A-t-on du trafic de drogue
d’armes
de filles
d’influence
?
Et si l’on avait
aussi
pourquoi pas ?
un vrai pur
radical
inséré
invisible
top couverture
jusque dans son lit conjugal ?
Peut-être.
Peut-être pas.
Franchement
je sais pas.
Et puis surtout
pas moyen d’écouter
à la webradio
Raviot
Ghraieb
car l’on est dans le train.
Soi-disant : du wifi.
T’en foutrais du TGV Inouï.
SNCF
ta société de transports
de merde
je me charge de sa e-réputation
tu vas voir.
Je te mets Master the King
au train.
Pas de webradio :
pas d’interrogatoire de
Ghraieb Mohamed Oualid
dans ce TGV
où l’on voyage avec sa fille
– celle de ce monde-ci
dite petite sœur
qui dispose de six heures de voyage
pour lire
L’Étranger de Camus
l’Antigone de Sophocle
et la Ferme des animaux
en anglais.
Fin des vacances dans trois jours
et l’on doit l’aider
pour un argumentaire de philo
au sujet de l’insulte.
L’on est TRÈS énervé
de n’avoir pas moyen
d’entendre l’audience de Ghraieb.
L’on va donc
une fois cette réalité acceptée
sans plus lui surimposer
un monde imaginaire
où le wifi fonctionnerait,
où donc l’on pourrait suivre
les débats
et tout en même temps
les chroniquer.
L’on va donc
travailler les notes prises
les autres jours
de la semaine Ghraieb
et écrire Schadenfreude.
Le vent dans un micro
soufflant fort.
L’homme avance :
la classe.
Chemisé bleu pâle
bruit de mocassins chics.
Dans l’image mouvante
son visage
apparaît
disparaît.
Il fait la bouche
du gars pas commode.
Autour,
la rue est déserte :
les gens encore chez eux
barricadés
terrés de terreur.
Pas lui.
Ghraieb est gris
pas gras
quadra
tracassé.
Comme odeur
je lui imagine :
eau de Cologne.
« Bolil,
il fait des blagues
mal placées.
Avec lui
tu peux pas parler quelques minutes :
il se moque.
Il parle beaucoup de sport,
de protéines,
de cuisine,
de salsa.
Une ou 2 fois
peut-être
il parle de son père. »
Franchement,
il n’en sait pas plus.
Ghraieb Mohamed Oualid
préfère qu’on l’appelle Oualid
écrit avec
un dobeulyou,
Warner Wayne Winston etc.
il aime bien le style américain,
Oualid.
En Tunisie,
son père dirigeait une école
sa mère
diplômée en Droit
possédait deux librairies.
Oualid fait bac lettres à Sousse
école hôtelière
– son père a refusé qu’il soit
professeur de sport
ou bien c’est à cause
d’une blessure ?
Je ne sais plus.
J’ai oublié.
Franchement.
« Mes parents étaient des bourghibi,
ouverts d’esprit, laïcs !
– Avez vous eu en France
un sentiment
de déclassement social ?
– Non, je me suis intégré
vite et bien. »
« C’est pas que j’aime pas
les Maghrébins
mais je m’en tiens loin
surtout des jeunes. »
Il donne beaucoup de temps
à la cause animale,
Oualid.
D’ailleurs il a deux chiens
un chat.
En Tunisie
il accompagne les animaux blessés
chez le vétérinaire.
Il cotise à une association.
Quelques jours plus tôt
un témoin
qui n’est plus son ami
nous en fit ce portrait :
complotiste
schizophrène
malhonnête
toujours des reproches
aux gens
aux Français
au FN
aux autres partis
à Sarkozy.
Il traîne la nuit.
Il s’est réjoui de Charlie.
Il était satisfait.
Il est rancunier
de sa période sans papiers ni travail.
« Il n’est pas pratiquant
mais il a ses idées.
Il peut influencer.
Je ne crois pas qu’il l’ait fait
mais peut-être. »
Qu'en penser ?
Franchement
je sais pas.
Le vent dans un micro
soufflant fort.
Parasites sonores
bruit blanc
d’après l’Apocalypse
Sauf ses pas.
Il va traverser
le jardin Pompidou
dernier avant la Prom’
la bouche se pince
se retrousse
aux commissures
un instant
presque des fossettes.
Rictus ou sourire
n’est pas à mon sens
une question
pertinente.
C’est l’amour
qui fait que notre Oualid
quitte son pays natal
pour l’Allemagne.
Puis, il vient à Nice,
où se trouve une importante
communauté tunisienne
et il est vrai que
sous l’angle ethnique de l’affaire,
nous n’avons pas vu davantage
de Marocains de d’Algériens
que de Japonais et Jamaïcains.
En 2006,
Ghraieb rencontre
sa Merle Immonen.
Saperlipopette
quel joli nom !
ce pourrait être celui
d’une championne finlandaise
de rallye automobile
ou d’une pharaonne.
Oualid l’aborde,
comme ça,
sur la Prom’.
« Votre femme déclare
à la police
que vous vous êtes rencontrés
à Sousse,
Tunisie.
– Non. À Nice.
– Ce n’est pas ce qu’elle a dit. »
Ils ne savent plus
s’ils se sont connus
en Tunisie
ou en France.
Nos tourtereaux
ne vivent qu’au jour le jour
sinon tournés vers l’avenir.
« Si si c’était à Nice,
rectifiera Merle à la barre
après avoir clamé
son respect des victimes
et leur innocence
à elle et son Oualid.
Elle accompagnait un voyage scolaire
et tandis qu’elle prenait
sa pause du soir
face à la mer
non point contre terre
Oualid entra dans sa vie.
De retour en Finlande
Merle se sentit seule
et amoureuse,
aussi revint-elle à Nice,
prit des cours de français intensif.
Tout irrégulier qu’il fût
son Oualid l’aida à s’intégrer,
il l’enrichit
la soutint.
Il est généreux
épanoui
plein de projets
il a une bonne hygiène de vie
et Merle s’y connaît :
elle est aujourd’hui
hypnothérapeute.
Vous pouvez prendre rendez-vous :
elle est facile à trouver.
Avec Oualid
Merle est bien.
Merle est née en Estonie
En Finlande elle était
décoratrice d’intérieur.
Oualid demande un titre de séjour
en 2006
ne l’attend pas pour épouser Merle
en août 2007.
Merle est protestante.
Oualid n’est pas pratiquant.
Il fait ramadan
par tradition familiale
ne va pas à la mosquée,
lit parfois le Coran
car c’est relaxant.
« Ce n’est pas un mal,
s'exclame Raviot Laurent,
pourquoi le dire sur la pointe des pieds ? »
Il est sans doute délicat
de proclamer qu’on lit le Coran
à ceux qui vous accusent
d’être malfaiteur associé
en vue d’une entreprise terroriste
islamique.
Merle trouve ses premiers chantiers en France
et que font nos jeunes mariés
pour leurs loisirs ?
Eh bien,
vous ne devinerez pas :
ils commencent à militer
à l’Union pour la majorité présidentielle.
L’UMP, oui.
En irrégularité de séjour
sur le sol où s’exerce ladite majorité,
c’est follement drôle.
Mais Oualid est catégorique :
ils n’y vont pas pour la politique.
Seulement pour
la bonne ambiance des meetings.
Relisons nos notes
pour être bien sûrs.
C’est cela :
afin de prendre du bon temps
de se délecter de bonnes ambiances
Oualid et Merle ont choisi :
les meetings de l’UMP.
(Lesquels leur permettent
de surcroît
de visiter
Marseille et Toulon.)
« Je ne suis jamais allé en Finlande :
j’ai peur de l’avion.
– votre épouse a déclaré
que vous y étiez allé deux fois.
– Non, je n’y suis jamais allé.
Franchement.
J’ai peur de l’avion. »
Crise économique mondiale de 2008 !
Merle n’a plus de travail
mais quelques mois plus tard
Oualid décroche
son titre de séjour.
Merle se forme à la déco
« art de vivre à la française »
celui-là même qui
aux dires de François Hollande
fut attaqué
le soir du 13 novembre 2015.
Oualid travaille dans cet hôtel
– c’est pas compliqué :
vous arrivez du procès de Paris
pour une session Nice Acropolis
Vous descendez du train
prenez la direction du tram :
vous tombez pile devant l’hôtel.
Tout se passe très bien
avec le patron
de ce trois étoiles
mais ne voilà-t-il pas
qu’un nouveau propriétaire
décide de battre pavillon quatre étoiles
et en profite pour harceler
notre héros ?
Tiens, c’est pas dur,
le boss lui met tant de pression
qu’un soir
« Le plafond me tombe dessus. »
On veut lui faire surveiller les travaux.
On lui demande des tas de choses
ingrates
et pas dans sa mission.
« C’est comme si j’étais un esclave.
– Ce patron vous disais
agressif et odieux.
Il prétend que vous le traitiez de raciste
pour vous faire renvoyer
avec des indemnités.
Pourquoi dit-il
que sa femme avait peur de vous ? »
(Ce n’est pas parce qu’on fut l’employeur
d’un gars peut-être impliqué
dans un attentat
qu’on ne peut pas être
par ailleurs
un sale exploiteur
raciste
de main d’œuvre étrangère.
Je ne connais pas ce Directeur.
Je ne sais pas.
Franchement.
Peut-être.
Ou non.)
Le ciel maintenant
et les ocres des murs
oh comme c’est Nice !
Aucun doute
Et le vent dans le micro
toujours
souffle fort.
Voile qui faseye.
Étendues sauvages
hautes mers,
Frison Roche
Tabarly
Vanier
Mais non
revoici notre homme
il se mire dans son objectif
et voici l’horizon marin
oscillant sur son axe
La Prom’
lumineuse
même le plus clair
des matins de semaine
hors saison
ne la connaît aussi déserte.
Nous voici en 2015.
Pour facturer toutes ses compétences
déco
thérapie
prestations de services
Merle créée la société
MG Prestige Concept.
Il ne nous est pas dit si MG
signifie Mohamed Ghraieb.
Elle gagne une commission
de 125 000 euros
franchement
je ne sais plus trop comment.
Immobilier
peut-être.
J’ai oublié.
ils achètent une Mercedes Classe C
comptant
37 000 euros
ou 47 ?
franchement
il ne sait plus.
C’est pas important.
« Si rien n’a d’importance,
M. Ghraieb,
quel crédit peut-on accorder à vos propos ? »
Franchement
jamais je n’oublierai le prix
de l’objet le plus cher que j’aie acheté
la Guzzi 850.
Oualid fait une formation :
chauffeur VTC.
« C’était son idée ou la vôtre ?
demande la cour à Merle.
– Vraiment, c’est un très très bon chauffeur. »
Merle étudie l’hypnose.
Elle ouvre un cabinet thérapeutique
rue Jean-Médecin
puis s’associe
dans un cabinet de bien-être.
« Des fois ma femme
ramène des voitures
de Suisse ou de Finlande. »
Trafic dans le trafic ?
Lui, avec la Benz,
se fait dans les 500 nets par jour,
ou bien 50 ?
100 ?
Franchement
plus personne ne sait
ni lui ni moi
ni Merle
ni la presse
ni mes indics.
En tout cas
les gens du monde de la nuit
lui envoient des clients.
Il possède aussi un appartement
en Tunisie
au-dessus de la villa de son père.
Et un autre à Sousse.
De ce dernier
Merle
ignorait l’existence.
Plusieurs auditions
vous l’aurez compris
sont ici mêlées.
Si celle du train
fut manquée,
les précédentes
non
comme l’interrogatoire
dit de personnalité
de Ghraieb Mohamed Oualid.
De la salle d’audience
le chroniqueur s’en fut
aux toilettes
au pas de course
à son retour
Ghraieb était devenu
complètement rouge.
Il était question de Sexygirl
Russiangirl et d’autres,
contactées avec l’ordinateur
portable Toshiba
depuis un compte Skype secret
effacé
Fabiofabio61.
(Mais ils sont forts
les informaticiens de la police !)
Dieu
protège-moi de la tentation
d’association de malfaisance terroriste :
je ne voudrais pas qu’un jour
en audience publique
soit malmenée
ma pudeur
ni la réputation de dames
tout à fait respectables
dans leur vie de femmes
mariées.
« J’avais beaucoup de contacts avec des touristes
se défend l’accusé,
mais du sexe
pas forcément.
Je ne me souviens pas de ça.
Franchement. »
Il prêtait beaucoup
le portable Toshiba
aux clients de l’hôtel.
Pour imprimer.
Qui une réservation.
Qui un billet de train.
« Dans un quatre étoiles
les clients doivent utiliser
le portable Toshiba personnel
du veilleur de nuit ?
s’étonne la cour.
– Oui.
Peut-être
des problèmes de virus
Je sais pas. »
« Aviez-vous
des connaissances féminines
communes
avec Monsieur Lahouaiej Bouhlel ?
– Franchement
peut-être
je sais pas
non
je me souviens pas. »
« Merle Immonen,
saviez-vous que votre mari
se connectait sur Skype
avec de jeunes femmes slaves ?
– Ça me parle, oui.
Un ami à lui
voulait une épouse.
ils avaient rigolé
en lui en cherchant une.
– Quel ami ? »
Merle ne sait plus.
Et si tout simplement
Oualid était un radicalisé extrême
sous couverture parfaite
mais que tout à la fois
il se tapait
de jeunes Roumaines
et préférait purger
des années de prison
plutôt que de ternir son honneur
auprès de ses frères d’armes ?
Ou bien trafique-t-il
des filles de l’Est
avec Merle ?
(Laquelle propose
des méditations
où l’on apprend
comment s’ouvrir les chakras
dans le but de devenir
milliardaire.)
Toutes ces idées viennent
tournoient
repartent.
Franchement,
je sais pas.
Ghraieb ne fera pas
de coming out
mais sûrement il nous mettra
en burn out.
Le vent dans un micro
soufflant fort.
Papier froissé.
Une Prom’ aussi lumineuse
et déserte
c’est impossible.
Ou alors il faut vraiment
une pandémie mondiale
une municipalité soucieuse
d’offrir à son peuple
une impression qu'on le protège
à sa capitale
une image de sérieux.
L’homme marche.
L’attentat s’est commis
plus loin :
le camion s’est arrêté
à 650 mètres à l’ouest.
On sent qu’il va aller sur zone.
Pour le moment
il filme
un long moment
la paix grandiose
de la mer
léchant les galets.
Il est poète.
En 2016
notre Merle gagne
dans les 2500 par mois.
Son objectif à lui :
ne plus faire que du VTC.
En attendant
il continue l’hôtel.
Le personnel
le voisinage
témoignent :
« Il ne supportait aucun ordre.
Ni bonjour,
ni bonsoir.
Il pouvait fermer l’hôtel
disparaître un moment
faire on sait pas quoi ».
Franchement,
– toujours cette franchise –
Oualid allait chercher à manger.
« Il laissait ouverte
la porte de l’hôtel
alors qu’elle devait
rester fermée.
Il laissait entrer
des gens bizarres.
Il volait. »
« Oui,
des gens ils passent, des fois.
Ils veulent une cigarette
ou je sais pas
mais franchement,
voler, non,
je ne m’en souviens pas. »
« Le fils du kebab
dit que vous trafiquiez des armes
avec des Albanais.
– Franchement : non. »
Merle n’y croira pas non plus.
D'ailleurs nous n’avons dans le box
que quatre Albanais
trafiquants d’armes.
À ce sujet
sur le banc des accusés
l’Albanais Maksim Celaj
qui dort depuis deux mois
le front sur son pupitre
vient de se réveiller.
Un jour Ghraieb montre
au témoin qui n’est plus son ami
une arme sous son siège.
« Pourquoi tu as ça ?
– Parce que c’est un monde difficile
avec pleins de bagarres
de Tchétchènes. »
Plus tard, Bouhlel dit au témoin :
« Oualid m’a arnaqué
il m’a vendu une arme
qui ne marche pas. »
Mais il a peut-être menti.
C’est peut-être Arefa,
ci-joint dans le box.
Arefa sera disséqué
en semaine 11.
Vous vous y perdez ?
Moi aussi
franchement.
Merle :
« On habite avec deux filles mineures,
des jeunes les ont emmerdées,
on nous a crevé les quatre pneus,
alors mon mari
a décidé d’acheter une arme
pour faire peur.
Je ne vois pas d’autre explication
à cet achat.
Mon mari n’est pas paranoïaque il est visionnaire. »
Visionnaire.
« Il n’a pas cherché à vendre l’arme à Bouhlel.
Celui qui prétend ça
est jaloux de mon mari. »
« Monsieur Ghraieb,
pourquoi
deux téléphones professionnels
en plus de votre ligne personnelle ?
– Je sais pas.
Peut-être
pour le travail VTC ?
– Deux lignes ? Pour une activité en démarrage ? »
Il ne sait pas.
Franchement.
Peut-être
comme ça
si une ligne
est occupée
il reste l’autre.
Un jour de juillet 2016
la petite vie tranquille
charmante
de nos amoureux,
cette romance
pour ainsi dire :
patatras.
Le 21 juillet 2016,
Oualid est incarcéré.
Marseille.
QER :
Quartier d’évaluation de la radicalisation.
Des difficultés :
les détenus lui reprochent
d’être une balance.
Franchement
il ne sait pas pourquoi.
Un radicalisé l’agresse
avec un verre dans une chaussette.
Puis il écrit une lettre
qu’on nous lit en audience
il est question de la sourate
de Youssef.
« Je ne sais pas pourquoi.
dit Oualid
Je ne connais pas ces gens-là. »
Libéré en 2019
Oualid Ghraieb doit rester à Marseille
pour cause de contrôle judicaire.
Il ne retrouvera pas sa Merle.
Mais elle refuse le divorce.
Ils se séparent
se remettent ensemble.
À la barre en 2022
Merle Immonen a 55 ans.
Elle a eu quatre enfants
une opération du cœur
mais son Oualid
tout de même
espère lui faire un enfant.
L’affaire semble compromise
objecte le Président Raviot.
Merle a été expulsée
de leur ancien appartement.
Elle vit du RSA
à Cap-d’Ail
(où chaque azuréen sait
combien les loyers
sont abordables
du fait de la frontière
avec Monaco.)
Elle perçoit aussi
de modestes revenus d’hypnose.
« Avez-vous eu
pour clients
des victimes de l’attentat ?
– Oui.
– Leur avez-vous dit que votre mari était
sur le banc des accusés ?
– Non.
– Pas d’autre question. »
Le vent dans un micro
soufflant fort.
Hyperacoustique.
Soleil à contrejour.
Son visage encore
remplace
un palmier
un toit
un horizon.
À ce moment
il me semble
que Oualid arbore
– sa Défense
pointerait ma phrase
comme indigne –
sa sale gueule normale.
Un ricanement intérieur
Le sentiment pitoyable
d’être un grand homme
dangereux.
À présent
Cap à l’Ouest :
zone fermée
aux abords du camion
là où sont encore
les corps
des morts
avec les légistes.
Les camionnettes-régie sont déjà là
avec leurs paraboles.
Devant les collines
un drapeau tricolore flotte
à la coupole rose
du Negresco.
Après cette courte
entrée en matière
destinée à présenter
les protagonistes :
FOCUS SUR 2016 !
En avril,
Momo Lahoué’Boul’
aide notre joli couple
à déménager
avec le camion du boulot.
Il est comme ça, Sale-man-Bolil :
serviable.
Deux fois
nos deux Mohamed
s’en vont en Italie
acheter des cigarettes
pour les clients de l’hôtel.
Mohamed Oualid fait même des vidéos
où l’on aperçoit au volant
l'ami Bouhlel Mohamed Salman.
Au hit-parade des contacts
téléphoniques
de Salman,
depuis un an,
Oualid arrive cinquième
avec un score de 1278 échanges.
Le précèdent :
la maîtresse
l’épouse
mon-cher-ami
Chafroud Chokri (à la barre demain).
Momo le tueur
insiste auprès des Ghraieb :
il doivent acheter sa voiture.
Il la leur brade.
Il a besoin d’argent.
13 juillet 2016.
« Je rentrais d’Antibes
dit Merle
où je venais de liquider
la société.
J’ai pris 2500 de cash
à la banque
pour la voiture.
La vente s’est signée
dans le garage.
Il n’est pas rentré
dans notre appartement.
Jamais.
C’était une connaissance,
pas un ami.
Ce jour-là il était sale
il ne m’a pas saluée
même pas regardée.
Je les ai laissés tous les deux.
– Dans d’autres déclarations
s’étonne à nouveau la cour
vous avez dit
qu’il était venu chez vous. »
Franchement
elle est sûre que non.
Il y aussi une histoire de chèque
pas nette
500 euros que Oualid
a barbottés à sa femme
pour des vacances,
je n’ai pas compris,
je ne me souviens plus
franchement.
« Bouhlel était devenu fou,
dit Merle.
Mon mari disait qu’il souffrait
énormément
depuis la perte de son procès
pour agression à la planche à clous.
Il avait dit aussi que sa barbe
c’était pas pour la mode
mais pour la religion.
Il avait dit à mon mari
qu’il voulait mourir.
– Vous a-t-il raconté cela
avant
ou après l’attentat ?
– Quelqu’un qui souffre est fragile
et influençable, aussi. »
répond Merle
thérapeute avant tout.
« Monsieur Ghraieb
demande le Président
pourquoi appelez-vous M. Bouhlel
dix fois
au cours de la nuit
du 14 juillet 2016 ?
– Aucun lien avec l’attentat.
C’est pour avoir le double des clés
de la voiture.
– Dix appels dans la nuit pour ça ?
– Ma femme me met beaucoup de pression
pour ce double de clés.
– Alors que vous savez tous les deux
que l'attentat a été commis ?
– Oui, beaucoup de pression pour les clés.
– Vous pensez qu’on va croire ça ?
– Ma vie continue.
Je dois travailler.
Franchement.
– Et tous ces appels à votre épouse,
cette même nuit ?
– On s’inquiète pour sa femme. »
Laquelle s’inquiète
en retour
pour des doubles de clé.
« Qu’allez-vous faire le 15 juillet
devant le domicile
de M. Bouhlel ?
– Mon cousin Khaled
veut y aller.
Il est journaliste.
Il vient d’atterrir.
– Vous déclarez apprendre
l’identité du terroriste
entre 11h30 et 12h30
mais c’est faux :
à 9h30
un de vos collaborateurs
vous entend appeler votre épouse
et dire
c’est lui, c’est lui. »
Il ne nous est pas dit
sur quel ton ces mots
sont prononcés.
Rien à voir !
C’est lui :
lui, Chafroud !
(demain à la barre, bis)
Chafroud qui avait
mis de la colle dans leur serrure.
– Ça vous paraît logique
de parler de cela à votre épouse
un matin d’attentat ?
– Oui, car Chafroud, il nous donne
un sentiment d’insécurité. »
« Un témoin dit que vous avez reconnu
le camion loué par Bouhlel
à la télévision
le soir même.
Vous racontez n’importe quoi,
M. Ghraieb.
Vos déclarations évoluent.
Les collègues qui vous disaient
nerveux et agressif
ce soir-là vous décrivent
gentil, détendu, de bonne humeur.
Vous dites à une nouvelle employée
qu’elle doit absolument descendre
voir le feu d’artifice. »
« Madame Immonen,
votre mari a-t-il une explication
au fait que M. Bouhlel
ait pris tous ses amis
en photo près du camion
juste avant son acte,
comme s’il voulait
les compromettre ?
– Non, il n’a pas compris. »
« Monsieur Ghraieb,
le 10 janvier 2015
vous avez écrit
en SMS
à M. Bouhlel :
Je ne suis pas Charlie
qu’ils aillent se faire enculer
et que Dieu leur ajoute
plus que ça.
Va faire la prière.
Ah oui camarade
c'est des diables ces gens-là
qui insultent notre cher prophète,
et tu as vu comment dieu
leur a envoyé des soldats d'Allah
pour les finir comme des m…"
Non ! non ! Oualid l’a dit et répété
depuis le début :
il n’est pas l’auteur de ces messages.
C’est Djamal Abbas
de passage à Nice
qui les a envoyés
depuis son téléphone.
Mais qui est Djamal Abbas ?
Nul ne sait.
Sinon qu’il enseigne le sport
en Tunisie.
L’enquête n’a pu déterminer
son existence
mais elle n’est pas allée chercher
jusqu’en Tunisie.
C’était trop loin.
Le vent dans un micro
soufflant fort.
L'homme approche des barrières
– très peu de badauds.
Eh non eh non
il ne pourra pas aller
jusqu’au camion :
barrage-de-police
Mieux vaut tard etc
Cap au nord.
Il laisse dans son dos
la mer
le grand azur
les alignements
de mâts à drapeaux.
Non ! il se ravise.
Il tente par l'autre trottoir
côté ville.
Sa mine s’est réjouie.
Il nous montre encore l’ocre
le bleu
les palmiers Phoenix
et Washington
le ciel
dans une de ses couleurs
les plus flamboyantes.
Eh non
par ici non plus
il ne pourra remonter
jusqu’au camion.
Il s’éloigne vers le Nord
se retournant souvent
comme pour dire au revoir
à la douceur mystérieuse
de ce qu’il laisse derrière.
Un Sage
un guerrier apaisé
pas tant par la victoire
que par la violente
beauté de l’assaut.
La paix l’habite.
Beaucoup de choses
l’habitent.
Il est habité.
Grand Saint.
Roi viking
marchant au nom d’Odin
sur les corps
de ses ennemis vaincus.
Du portable Toshiba
furent extraites
des dizaines de photos
en lien avec le terrorisme
Merle a du mal à y croire.
Elle n’a pas d’explication.
« Non, ça ne peut pas être lui. »
« Monsieur Ghraieb,
vous recevez ces 3 SMS de M. Bouhlel :
14.7.7.16
15.8
?
Comment les interprétez-vous ? »
(15/8 :
date de la seconde
Prom’ Party
de l’été.)
– Franchement
je sais pas
il m’envoie plein de messages bizarres
tout le temps.
Peut-être
les numéros du tiercé ? »
« Madame Immonen,
à votre avis,
pourquoi votre mari tourne-t-il
ces deux vidéos
sur la Promenade des Anglais
le 15 au matin ?
Que comprenez-vous
de ce comportement ?
– Un petit clip spontané,
comme tout le monde fait.
Il est très spontané.
Et aussi la curiosité,
l’inquiétude,
quelle autre raison ?
– Saviez-vous qu’il avait fait ces films ?
– J’ai su qu’il était allé sur la zone. »
Il faut avoir vu Nice
ce jour et les suivants
pour comprendre
la zone.
Ils sont plusieurs
à avoir filmé
contents
l’horreur
la souffrance du mécréant
ou du Français
mais peut-être que le cas Oualid
tout particulier
ça fait beaucoup ?
Le vent dans un micro
soufflant fort.
Ghraieb a quitté la Prom’
par la rue Halévy
(ou Massenet ?
Franchement
je sais pas)
et tout à coup
il est vraiment joyeux.
Fier, satisfait, serein.
De ces cent jours de procès
pour la première fois
nous le voyons
bien dans sa peau.
Sans plus ce regard
préoccupé.
Il s’en va sans doute
retrouver Merle
pour quelque affreuse
célébration charnelle
avant que d’aller
se présenter au commissariat.
Je sais pas.
Mon avis ?
Tordu.
Franchement.
Heureusement que votre chronique existe. Merci
Franchement ? on s'y croirait... et pépite dans la pépite : l'instant Maksim Celaj...
Putain que c'est bon !!
Tu as oublié qu'il est transparent... mais le pauvre tout ce qu'il dit depuis le début se retourne contre lui... victime... lui qui pourtant s'est présenté de lui même à la rôtisserie...
Mais c'est pas lui hein, c'est Djamal Abbas... je vais adopter cette formule dans mon langage courant, telle une ado rebelle, " mal garée ? Nan c'est pas moi m'sieur l'agent c'est Djamal Abbas!".
Oui oui celui à qui j'ai prêté mon téléphone, mon PC, une chambre ...
"Chéri non c'est pas moi qui ai envoyé ce message rempli de sous entendu sur WhatsApp... j'ai du prêter mon téléphone, je sais pas, le facteur est passé ce matin il a dû prendre mo…
De la bomberie, difficile de parler d'un lotus quand on sait la vase, même la merde dans laquelle il pousse. Mais lecture hypnotique, écritur uranienne
Ok avec Robert. C'est brillant.