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  • Photo du rédacteurThierry Vimal

DOUBLE ENQUÊTE AU PALAIS

« Vous savez… »

me dit un jour

une fantôme en robe noire

cachée derrière une statue de Berryer

– il s’agissait, je crois,

de Belphégore –

« Vous savez...

il est rarissime

qu’un accusé déclare en audience

ou même en garde à vue

qu’il est notoire

dans son banditique milieu

que tel autre accusé

a tué un homme.

– Les enquêteurs, m’étonnai-je,

ne sont-ils donc pas allés…

vérifier ?

– C’est justement LÀ !

cria Belphégore,

que se tient le secret...

dont…

finalement…

je ne souhaite pas vous entretenir.

Car il vous fera du mal.

Tant de mal.

Alors,

au revoir,

bel écrivain ! »

Je la retins

par le bout de son voile noir.

« Non ! Maîtresse Belphégore !

pitié !

je me jette à vos bottes de cuir,

je me prosterne

mais dites-moi le secret !

– Bon, puisque tu insistes,

et que tu y mets les formes,

voilà : »

Et sa lèvre vint trembler

au lobe de mon oreille :

« Écoute-moi.

Obéis-moi

car tu es mon scribe.

Sache

que

après Charlie Hebdo

les effectifs d’enquêteurs

de la SDAT

(sous-direction antiterroriste)

étaient mobilisés

à l’extrême.

Combien de pistes à suivre !

Combien de fils à déterrer

Quand tout à coup :

13 novembre !

Des années d’instruction

à venir !

Hyperactivité à la SDAT !

État de la menace :

maximal !

Combien d’attentats

à déjouer !

Autant te le dire

petit padawan à plume :

après ton attentat

de bord de mer,

plus assez d’enquêteurs !

Pour vous autres :

effectifs minables

de minables agents

de fond de tiroir !

Voilà pourquoi

au Président

le plus souvent

les enquêteurs répondent

je ne sais pas

nous n’avons pas suivi cette piste

ni celle-là.

Voilà

mon jeune élève

scribe

baise la bague et le pied

de ta Maîtresse Belphégore

et va-t’en révéler son secret

dans ta chronique !

Car nous autres

fantômes des Louvre

des Opéra et des palais

ne pouvons pas le faire :

cela creuserait par trop

pour nos adversaires

un sillon fertile.

Toi, fais-le !

»


Woooof

un nuage blanc

tourbillonna

Belphégore

n’était plus là.


Je restai

pétrifié

abasourdi

dans la grande salle de marbre.

Je tressaillis :

une sonnerie retentissait

dans le lointain.

L’audience était reprise.


Comment donc ?

m'estomaquais-je.

Après le peuple ?

la presse ?

la littérature ?

le cinéma ?

maintenant :

les enquêteurs

la SDAT

la DGSI

le Parquet

le ministère de l’Intérieur…

Eux aussi

ils nous auraient

délaissés ?


Bon-sang-mais-c’est-bien-sûr !

Le grand Raviot

lui qui observe l’audience

en vol stationnaire à mille mètres

ne l’a-t-il pas déploré lui-même,

l’autre jour,

interrogeant un enquêteur SDAT ?

« On n’y comprend rien

à votre tableau

c’est le bordel ! »


Écrire à ce sujet ?

Chaud patate.

Si convaincante et sexy

que fût Belphégore

elle était source trop fluette.

Il fallait

à mon tour

mener l’enquête.


Je commençai par le premier avocat

qui passa sous mon nez

– une jeune femme

tout à fait charmante.

« Croyez-vous Ô Maître

comme une certaine Belphégore

que nous ayons eu pour Nice,

une enquête-au-rabais ?

– Alors ça, explosa-t-elle,

c’est encore des conneries

pour faire du buzz mes couilles ! »

(Comprenez :

Non, je ny crois pas un seul instant

monsieur,

et même,

cette seule idée me scandalise.)


Allons bon !

Je quittai l’enceinte du palais

jusque behind the wall

hors de la protection

de la Garde de nuit.

Aussitôt je me vis attaqué

par un Sauvageon à l’affut

qui brandissait une hache.

Son poil était maculé de cristaux de glace

il portait une peau d’ours

bleu blanc rouge.

« Ah c’est toi… »

se ravisa-t-il,

rengainant son arme.

Je l’interrogeai :

« Avons-nous vraiment eu,

selon toi,

pour notre 14 juillet,

une enquête-au-rabais ?

– Non…

pas au rabais.

Mais une enquête de merde,

ça c’est sûr !

Car il n’y avait rien

sur quoi enquêter !

Pour s’en rendre compte

il suffit de lire

les 80 000 pages du dossier. »

L’on avoua

ne pas les avoir toutes lues.


« La faute à Hollande

poursuivit-il

qui voulut à tout prix

que votre affaire

fût du terrorisme

islamiste !

Alors pour lui obéir

pour lui faire plaisir

la SDAT a cherché dans ce sens

et pas un autre.

Conditionnée.

Quatre ans durant.

Et rien trouvé, pardi.

C’est pourquoi votre enquête

est pourrie.

Découvertes nulles.

Conclusions nulles.

Ils se sont trompés

de A à Z. »


Mince.

Comment raconter cela

à mes lecteurs ?


« Et sinon,

reprit mon sauvageon,

il y a bien plus intéressant

que l’enquête.

Le truc énorme de ce procès

mais vraiment énorme

ce sont les relations

entre les avocats. »


Sachez-le,

Ça passe crème

n’est pas une sorte

de Paris-Match des audiences.

Toutefois

elle peut l’être

le temps d’une chronique.


« Vas-y ami,

raconte !

– Jamais on n’avait vu

tel niveau d’agressivité

entre robes noires.

Des saloperies

je te dis pas.

– J’aimerais bien,

au contraire,

que tu me dises. »

Mais un officier de la Garde noire

franchit les remparts du palais

et disparut dans les ruelles.

Mon sauvageon se précipita

à sa poursuite

et me laissa seul

gelé

insatisfait.


Mon sommeil cette nuit-là

fut peuplé d’enquêteurs

de corsaires aux ongles noirs

de piratesses à cheveux flamme

les uns aux trousses des autres

sur toutes les mers du globe.

L’objet de leur convoitise :

un coffret

rempli de bandelettes de papier

sur lesquelles figuraient

les vrais noms des victimes.


« Une enquête pourrie ? »

enrageai-je au lendemain

l’œil à peine rouvert.

« Des avocats…

irrespectueux les uns des autres ?

Mon dieu ! »


Descendant vers la grande île de la Seine

à travers les jardins glacés

du palais du Luxembourg

absorbé

je n’entendis aucun bruit

je ne vis

ni les branches noires des marronniers

découpées sur le blanc ciel

ni les mouettes lovées

en boules de duvet

frémissant sur les rebords des bassins.


« Une mauvaise enquête ?

N’importe quoi ! »

me réchauffa ma première

interlocutrice

à la machine à café.

« Et les dissensions

entre avocats,

osai-je,

sont-elles

Défense contre Parties civiles

ou internes aux parties civiles ?

– Des dissensions, dites-vous ?

Entre avocats ?

Vraiment

je ne sais pas de quoi

vous parlez.

Excusez-moi,

mon associé m’attend. »


J’en savais toujours trop peu

pour une chronique

digne.

J’en interrogeai d’autres

– un maximum.


Sur la question de l’enquête au rabais :

Pour le moins légère, oui !

Jamais de la vie.

C’est évident.

Qui vous a raconté ces bêtises ?


Sur la question de coups bas entre avocats :

Aucune idée.

Jamais entendu parler.

Allons donc.

Excusez-moi j’ai du travail.


Où tout cela me mènerait-il ?


Dans la salle d’audience

je constatai qu’en effet

on avait hissé des barricades.

Entre les parties civiles et la défense

se dressaient des murailles

de sacs, vestes et manteaux

d’écrans ordinateurs et de bouteilles,

de livres et de dossiers.

Seuls des regards

dépassaient

derrière

pointus comme des armes longues.


Je cherchai

Belphégore.

Plus jamais elle n’avait

reparu.


« Venez demain

au coucher du soleil

angle de la galerie des Ducs

et de la travée Cassation

et je vous dirai

ce que je sais. »

me chuchota-t-on

tandis que sceptique

aux marches du palais

j’évaluais l’incidence probable

de la pluie

sur mon parcours

vers mon déjeuner.


À ce rendez-vous

j’obtins comme révélation

que les échanges entre avocats

oui

s’étaient enflammés

sur quelques Whatsapp cryptés

où quelques sous-groupes

par dissidence

s’étaient formés.

« Et puis c’est tout hein !

On a fortement exagéré

ce qu’on vous a dit ! »


« Ca a dézingué oui,

très lourd,

me dit un autre,

mais c’est de la querelle

de cour d’école.

Ne perdez donc pas votre temps

avec ceci.

N'allez point en entacher

votre jolie chronique ! »


Plus tard encore

je repérai un lutin

délocalisé

vadrouillant dans les allées

bien que l’audience par ailleurs

battît son plein.

Son âge avancé

sa bonhommie de grand Schtroumpf

m'enjoignit à l’interroger

sur l’enquête

plutôt que sur les potins de robe.


« Et comment,

s’exclama-t-il,

que c’est une enquête au rabais !

Avec en plus

Saint-Étienne-du-Rouvray !

Et de toute façon

ils ne peuvent pas traiter

Nice comme Paris.

C’est impossible,

ils ne peuvent pas se le permettre. »

L’on n’a pas davantage

– et c’est bien malheureux –

d’explications à vous donner

sur cette déclaration

ni sur l’identité

de ils.


Tout cela allait mal finir.

Bien trop casse-gueule !


Alors, que faire ?

Y avait-il dans tout cela

matière à chronique ?

Chronique ?

Mais bien sûr !

Pardi !

Qui pourrait être

plus digne de confiance

qu’un lecteur assidû

de Ça passe crème ?


Je ne connais

évidemment

que son pseudo de lecteur

et sa profession d’avocat.

On souhaite rester anonyme.

On me bande les yeux.

On me promène en taxi.

On me conduit par un escalier

dans un endroit mystérieux

qui fleure bon la cave

la pomme

et l’alambic.


« Que voulez-vous savoir ?

– Qui êtes-vous ?

– Que voulez-vous savoir ?

– Est-il vrai que dans la confraternité

vous eûtes affaire à quelque…

mésentente ?

– Oh mon Dieu oui !

Des fous !

Des malades !

– Les malades vous ont-ils semblé...

plutôt…

méridionaux ?

– Ah non, ça non.

Les septentrionaux

furent tout aussi hystériques

pour faire monter le niveau

d’excitation générale.

– Est-il vrai que l’on fut…

indélicat…

sur contexte d’hospitalisation

de l’enfant d’un des vôtres ?

– D’où tenez-vous cette information ?

– A celles qui me donnent un indice

je montre parfois

mon plus beau tatouage

et sur webradio-ya-magique

j’ai des copains.

– Indélicatesse dites-vous ?

Parlez plutôt de réjouissance !

Réjouissance écrite

que l’enfant d’un des nôtres

soit malade !

Des captures d’écran

ont même circulé

sur certains sous-groupes

ultraconfidentiels.

– Et cette enquête

antiterroriste,

alors ?

Fut-elle rabais ?

– Mais PAS DU TOUT !

Elle est même tout à fait

impressionnante !

Si vous voyiez les dossiers

que nous traitons au quotidien !

Enquêtes menées

par Van der Weiden

et le lieutenant Carpentier

de P’tit Quinquin !

Et laissez-moi vous dire

si les confrères étaient mécontents

ils n’avaient qu’à faire

des demandes d’actes !

De tous ces brillants esprits

qui dénoncent l’enquête

pas un seul n’y songea !

– Eh bien merci,

informateur anonyme,

pour ces confidences !

J'ai de quoi écrire

une bien intéressante chronique

tout en me déchargeant

sur votre anonymat.

Auriez-vous l’amabilité

à présent

de me reconduire à la sortie

que j’enlève ce bandeau

et prenne le chemin

de la maison Bullier

pour rédiger mon texte ? »


Alors, je sentis

sur mon abdomen

une ceinture

brutalement

se resserrer.

Elle m'immobilisa

contre le dossier de ma chaise.

« Que faites-vous ?

hurlai-je de peur.

– Je n’en ai pas terminé.

j’ai encore beaucoup

à vous raconter !

– Non ! Libérez-moi !

J’en sais déjà trop ! »


Je parvins à me dégager

arrachai mon bandeau

mais plutôt que d’identifier

mon ravisseur

(et de regarder s'il avait

ou non

gardé sa robe)

je préférai me ruer

dans les escaliers.

L’avocat se jeta à mes trousses

s’agrippa à mon pied

me fit chuter sur les marches.

Je m’efforçai

de continuer à monter

à plat ventre

à la seule force de mes bras.


« Vous ne vous sauverez pas ainsi,

ingrat !

me prévint-on

tandis que des ongles

s’enfonçaient dans ma cheville.

Vous ne partirez pas

sans savoir

qu’un avocat de partie civile

a pris en photo

un de ses confrères

en pleine discussion

avec un confrère de la Défense.

– Ça ne se fait pas

de parler à l’autre camp,

lui opposai-je.

– Ça s’fait ! objecta-t-on.

Et ensuite

on fit circuler cette photo

sous la robe

pour ostraciser

le traître à la cause !

– Maintenant laissez-moi partir !

– Non ! il y a aussi celui

qui a viré son jeune confrère

pour manquement au pointage,

pensez !

une journée de fric de perdue

pour le cabinet !

– LÂCHEZ-MOI !

– le jeune confrère était absent

pour inhumer un proche !

– Je ne veux plus rien savoir !

Je n’en écrirai pas un mot !

C'est vous la folie !

– Et ceux qui ont engrangé

tellement d’argent

grâce à votre procès

qu’ils pourraient déjà

prendre leur retraite

et qui réclament

à l’aide juridictionnelle

des heures supplémentaires !

– Pas un n'est plus malade que vous ! »


Soudain,

on lâcha mon pied.

Je fuis

sans demander mon reste.

Publier les résultats de cette enquête ?

Bien trop dangereux.

Qu'en penses-tu,

Señorita ?

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