Si ça continue
à force de récits
de témoins
de parties civiles
nous aurons bientôt
plus d’hommes debout
sur le marchepied
à l’assaut du camion
que de policiers de faction.
Mais point trop d’ironie :
ils furent quelques-uns,
à le poursuivre vraiment,
ce camion.
Trois, quatre ? Cinq ?
Quand le croquemort les emportera
qu’il les conduise à travers ciels
au père éternel de leur choix.
Et si d’aventure
quelque mythomane
bénéficie du transport
ce ne sera pas bien grave.
D’actes héroïques
il y eut des centaines.
Combien poussèrent autrui
le sauvèrent
y laissèrent une jambe
ou la vie ?
Gloire à eux.
Il est un homme,
s’il était guerrier sioux,
sa tribu l’eût renommé
Âme-fracassée.
Âme-fracassée,
il fut décidé
que le héros
ce ne serait pas toi.
Toi, tu serais celui
qui renonça
parce qu’on lui braquait
un Rr 51 sept soixante-cinq
sur le visage.
Tu te dis imbuvable,
tu ne vois presque plus ton fils
tu as peur de représailles
tu es
Âme-fracassée.
Homo scooter heroïs
au sortir de l’horreur
le téléspectateur
toujours
exige un héros
à surimposer
sur l'abomination.
Peu lui importe
que l’élu soit consentant :
un, sur son héroïsme
deux, sur devenir une star.
Homo scooter heroïs
combien de milliers de mains
se posèrent chaleureuses
sur ton épaule
sans te demander ton avis ?
On gava ton ego
comme une oie landaise
on s'en fit un foie doux
et, le rinçant de Sauternes,
l’on eut du baume au cœur.
Un chutney de figues
du pays niçois
mit la larme à l'œil.
On laissa jeûner ta détresse
ta solitude.
On ne se demanda pas
si ta glorification était, ou non,
compatible
avec ton terrible
sentiment coupable.
Tout le monde sait bien pourtant
que nuit et jour
– survivants que nous sommes –
la culpabilité nous ronge.
Homo scooter heroïs
vacillant à la barre
souffrant des conditions du direct
de l’immensité judiciaire
et peut-être
d’une lourde pharmacopée,
tu sembles prendre une balle,
tressaillir,
à chaque fois qu’ils prononcent
le mot héros.
J’ai bien peur qu’ils ne continuent,
acharnés,
tant que tu ne seras pas par-terre.
Nous savons tous
qu’il s’en fallut de peu.
À ce propos,
Homo scooter heroïs
tu ne nous expliquas pas
pourquoi telle autorité locale
qui t’avait désigné
kakemono officiel
cessa tout à coup de te dérouler
à l’arrière-plan de chacune
de ses apparitions publiques.
Mais où est donc passé
Homo scooter heroïs ?
s’inquiétait le peuple.
Il n’eut de tes nouvelles
qu’en 2019.
Et en 2022
ouït de ce syndrome
crépusculaire.
Homo scooter heroïs
Je n’irai pas revoir
les images
ni qui porte telle chemise
tel t-shirt
gris ou blanc.
Je ne zoomerai plus
pour voir si telle vitre
est ouverte
ou fermée.
Je n'irai pas tester
dans une voiture
s'il est tout à la fois possible
de se battre, tirer
et conduire en zigzags.
D'ailleurs,
rien de ce qui fut possible cette nuit-là
n’est possible.
Y avait-il ton enfant
plus loin dans la foule ?
Tu n’en as plus parlé.
Si j’avais grandi dans les docklands de Belfast
Aurais-je eu la force… ?
dit la chanson.
On ne saura jamais ce qu’on a vraiment
dans nos ventres…
Aurait-on, ou pas,
poursuivi le camion ?
Statistiquement : non.
Mais n’importe qui
sachant son enfant devant
aurait plongé
bille en tête
dans l’arbre à came
pour stopper le danger.
Il n'est pas question d'héroïsme,
ni même de décision :
la nature commande
et le parent obéit.
Et sinon, vous avez dû contourner des barrières
pour entrer sur le trottoir en scooter ?
Merci …
Merci Thierry pour tes chroniques qui résonnent fort en moi. Heureusement que tu es là pour assurer un journal de ce procès qui laisse la presse nationale Indifférente ou presque depuis qu’elle a eu son « croustifondant » le jour de la diffusion des fameuses images de vidéosurveillance de la ville de Nice...
C'est très difficile de faire un commentaire derrière en tel texte... si lucide, si humain, comment fais-tu pour avoir un tel recul? Parfois on dirait du Brassens...Au risque de dire des bêtises je n'en dirais pas plus, désolé de ne pas pouvoir faire mieux, nous pensons beaucoup à vous.
Daniel