Finalement je vais
à la barre.
J’expliquerai ce revirement
à la barre.
Et ici.
En 2016
j’ai refusé d’être partie civile.
Souvent
je comprends ce que j’ai fait
longtemps après l’avoir fait :
C’était un problème de
grosse machine.
État
Municipalité
Vatican
Médecine légale
Justice
Terminé les grosses machines
pour s’occuper
de ma Señorita poids plume
– j’arrivais presque encore
à la lancer
dans la piscine.
Pas être partie civile.
Pas assister aux gesticulations
de la grande dramaturgie
pénale.
Pas les cris de la populace
Mille monstres bêtes
escaladant
yeux exorbités
bave aux lèvres
les grilles du palais
criant des
salaud ! fumier ! à mort !
braillant que l’affront
doit être lavé dans le sang
– sans se demander si
nous avons envie d’entendre ça.
Naïf que j’étais !
Obsolète !
Ceux-là n’escaladent plus les grilles !
le smartphone est plus sûr,
confortable et anonyme.
Aucun avocat (Ghost ghoster’s !)
– jusqu’à Maître Le Roy –
ne trouvant qu’il y ait matière à s’offusquer
du prélèvement secret
des organes de quatorze victimes
Quatorze quatorze quatorze
je n’eus pas davantage envie
de nouer partenariat
avec cette engeance
rompue à l’alchimie
de la technique et du malheur.
Mais.
Sachant combien il m’est facile
de me haïr
d’avoir fait tel mauvais choix…
il me parut prudent
ce début d’année
de m'ouvrir l'accès aux audiences.
Je me portai donc partie civile.
Mais je n’irais pas au tribunal.
Ou bien irais-je ?
Ou pas ?
Si ?
Non ?
Je tâchai de me représenter
la salle d’audience
et j’y aperçus
une chaise de chroniqueur.
En route pour Paris !
Mince ! Les autres chaises de chroniqueur :
vides !
Presque une responsabilité !
Il allait falloir être moins hermétique
plus factuel et didactique.
J’assistai, chroniquai, assistai, chroniquai.
Sans droit de sortir mon ordinateur
ni mon téléphone
dans la salle
car il faut une accréditation presse
et pour être à la fois
partie civile et accrédité presse
il semblerait qu’il faille
être victime parisienne.
Un Niçois,
écrivant une chronique
d'adulte ?
Ha ha ha !
Pour la première fois
dans les couloirs du Palais
les victimes semblaient
bien s’aimer.
Presque, être contentes de se voir.
Comme si leurs douleurs
ne se tamponnaient plus
mais allaient dans le même sens.
Comme un groupe.
Ça donnait envie de s'approcher.
Vint le temps des témoignages.
Et toi, alors, pourquoi tu n’y vas pas ?
Comment ça, tu-n’y-vas-pas ?
Non !
J’ai écrit une oraison
un livre de mille pages
sur mon drame.
Un autre de trois cents
sur comment peut tourner un enfant
victime de terrorisme.
Une dizaine de discours
des communiqués et dossiers de presse
des posts
un site web
une chronique
on m’a entendu à la télé, la radio
dans la presse écrite
pour mon drame
pour mes livres
pour une association…
On m’a assez vu.
Le dispositif d’audience
contraint les parties civiles
à parler chacune
leur tour venu.
Elles ne peuvent pas se couper la parole.
Miracle !
Pour la première fois
depuis six ans
les victimes,
s’écoutent !
Ça ne durera qu’un temps,
savourons-le
prenons-y de la force.
Me désister ?
Pas corporate.
Vaniteux.
La barre c’est pour le peuple,
moi c’est la grande littérature ?
Arrogant.
Haute trahison.
Ne manquait plus que
l’élément déclencheur.
« Vas-y, à la barre »
me dit l’autre papa
endeuillé d’une ado.
Et le disant
il pose ses mains
à plat sur mon ventre,
comme si nous étions
deux copines enceintes.
« ‘D’accord, Jacques.
j’irai. »
Puisse Ami vous insuffler force et détermination comme pour sa Maman hier…
Choix difficile...
Je salue votre honnêteté et votre courage dans cet imbroglio émotionnel.
Peut être aussi un peu pour témoigner, vous qui avez les mots, pour tous ceux qui ne savent, ne peuvent pas...exprimer cette tristesse et cette colère.
Bon courage, aussi fort que Serena !
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