Avant-hier soir
nous faillîmes,
faillîmes,
surprendre
la Justice de France
(représentée par :
avocats (GG !),
huissier et greffiers,
magistrats,
Cour d’assises spécialement constituée –)
Nous faillîmes surprendre la Justice
en flagrant délit
d’indignité.
À la barre :
deux brésiliennes
mère et fille
domiciliées en Suisse.
Dans les cieux :
deux brésiliennes de Suisse
mère et fille.
La fille
six ans
morte
dans le même hôpital pédiatrique
que la Señorita.
Si nous suivons ce procès
– ou cette chronique –
nous savons
que la médecine légale
joua de la cisaille
pour remplir :
quarante-deux seaux
d’environ 80 kilos d’organes
dont quatorze cœurs
et autant d’encéphales
toujours stockés
dans ses réfrigérateurs.
(J’ignore si les organes
de telle autre personne
chauffeur de son état
sont conservés au même endroit.)
Furent concernés par la cisaille,
entre autres,
– se justifia la médecine légale –
tous ceux qui reçurent
vainement
assistance médicale.
(Pourquoi ? Réponse :
pour préciser
les soins prodigués,
définir
s’ils furent bien choisis,
et efficaces.
Et en effet,
sur ces défunts-là,
les rapports d’autopsies,
à la question
« stigmates de prises en charge médicale ? »
soucieux du détail
répondent :
"OUI" ou "NON".
Un OUI bien léger
pour faire valoir
les souffrances ante mortem
notamment
de deux petites filles
prises en charge vivantes
à l’hôpital pédiatrique
Lenval)
Seaux furent remplis
pour les besoins de l’enquête.
Pour ceux qui refusent de comprendre
– car l’horreur n’arrange personne –
dégainons les capitales :
LA MÉDECINE DE GREFFE
NE FUT PAS CONVIÉE
AU BRIEFING.
Je fus tenté d’écrire
conviée au festin
mais non,
justement,
celle-là ne festoie pas,
elle sauve.
Et nous eussions tous préféré
que ces dizaines d’organes
frais et sains
servent à quelque chose
plutôt qu'à rien.
Aucune famille
à ce jour
six ans plus tard
ne fut prévenue
officiellement.
Ça-se-sut,
du fait des investigations
d’une guerrière aux pieds nus
pour qui le secret
était impossible à concilier
avec la révolte.
Depuis le début du procès
trois familles
apprirent,
à six ans des faits,
que leurs obsèques
étaient incomplètes.
Je vis,
de mes yeux,
trois familles
vaguement relevées
retomber par terre.
Moi-même
déjà
je leur avais menti
par omission
cachant cette information
à telle personne
– par ailleurs qualifiée
de rubgyman.
Ce n’était pas à moi
de lui dire ça.
Bordel de merde.
Lui, pourtant, plus tard
pensa qu’il était de son devoir
d’informer telle autre famille.
Il avait raison, peut-être.
Chacun fait
en son âme et conscience.
Désormais, chaque famille sait.
Les quatorze.
Non : treize.
À la barre,
une tante,
une grand-mère
brésiliennes suisses.
La tante raconte sa sœur
sa petite nièce,
si douce,
elle pleure, pleure, pleure
Soudain les sanglots s’arrêtent
la voix devient grave,
elle raconte à nouveau
sa sœur,
sa super super petite nièce
qui n'avait pas mérité ça.
Sanglots remontent...
en boucle.
La salle, elle, tout entière
est au fait du prélèvement
des organes de la petite.
Elle écoute.
Elle attend de comprendre
si cette tante
sait
ou
ignore
l’offense rituelle
l’aube d’un nouveau combat
contre l’horreur et les ténèbres
pour la dignité de sa nièce.
Une salle entière
de cour d’Assises
fait l’expérience
de cette situation
abominable et surréaliste
que nous rencontrons
depuis quatre ans.
Si cette famille apprenait,
là maintenant,
devant tous,
la chose,
ladite salle vivrait
l’expérience jusqu’à son terme.
Vous comprenez mieux, là ?
La mamie, ne pleure pas.
Sa résistance, à elle, c’est de parler,
parler parler parler.
Elle dit tout, spontanément,
sans lire ses notes
puis prend ses notes
et redit tout.
Sourires amusés,
touchés, tendres,
dans la salle.
Pendant la nuit du 14,
à la TV, elle a vu
la bande-annonce de l’attentat.
Ensuite,
à nouveau hors notes
elle parle
de revenants.
Et nous l’imaginons
vieille dame noire
entourée de grigris
attisant un feu de sauge
murmurant dans les volutes
quelque oraison mélangée
de portugais et timbira.
La mamie s’intéresse
aux âmes
aux esprits.
Aux rites.
Elle ne sait pas, non plus.
Elles ignorent.
Tous les autres savent.
C’est flagrant.
Terrifiant.
Dégustez, amis juristes,
journalistes,
ce moment partagé
de notre réalité.
Un peu comme
lorsque nous visionnâmes
les images.
Et l’on va les laisser
ainsi,
quitter la barre,
rentrer en Suisse ?
Justice lâche !
obscène !
indigne !
La dignité des débats
est donc pacotille ?
Et celle des victimes ?
Crucifie-moi si tu veux,
Justice,
mais je ne peux pas laisser faire.
Que m’importe
que tes gendarmes
me sautent à la gorge ?
Ils ne me mettront pas
dans le box
– j’ai de la marge
pourvu que ça dure.
« Allons-y pour un peu
de dramaturgie pénale ! »
chuchoté-je au jeune Mathieu
« concerné » lui aussi,
au courant depuis deux semaines,
pour sa maman.
(Et bien emmerdé
avec ce sac de pierre
dans son cœur
et dans sa gestion familiale.)
Je vais me lever,
ostensiblement,
comme font les avocats
droit, visible,
majestueux,
inquiétant,
vice-figure de proue
du scandale des organes,
laissant penser
à tous
que je vais commettre
quelque chose d’inapproprié.
Puis emboîter le pas
de ces deux dames.
Laisser croire que
puisque personne
en cette couarde assemblée
ne va s’y coller,
moi, l’écrivain, le père endeuillé,
le père « prélevé »,
je vais faire le sale boulot
qui est aussi le plus noble,
avant que ne s’en charge
atrocément
un recommandé postal.
Lettres officielles, il y aura,
car nous dénonçâmes.
Sans quoi
c’est sûr
toute cette affaire
fût
passée crème.
À la vérité
il n'est pas temps
ni lieu
de faire cette révélation
à ces dames
épuisées de leurs paroles.
Je ne la ferai pas.
Juste, laisser croire.
Leur témoignage se termine.
On va les laisser partir.
Indignement.
Je fulmine.
Me lever.
Agir !
Et là, enfin,
enfin !
« Maître ! »
Le président Raviot interpelle
l’avocat des deux dames.
Avant-hier soir
nous faillîmes,
faillîmes,
surprendre la Justice
en flagrant délit
d’indignité.
Mais ça n’arriva pas.
Président Raviot possède
– et ce fut rapporté
dès la première chronique
in situ –
le regard perçant
de frère le balbuzard.
Il partage aussi sa Sagesse
et l’élégance
et l’altitude
de son vol.
« Maître", dit-il,
ferme et discret,
– pas facile.
« La petite nièce de Madame,
vous le savez,
a été autopsiée.
Il y a donc eu
des prélèvements.
Je compte sur vous,
pour en parler à qui de droit
pour que cette question soit réglée. »
Tellement habile
intervenant
publiquement
– car ce recadrage DOIT être public,
DOIT être immédiat,
et DOIT préserver
ces deux dames.
Elles ne doivent pas comprendre.
"Pas maintenant
sinon ça va les détruire".
me dit Mathieu.
Le Président agit
magistralement
et c’est bon
qu’un magistrat
soit magistral.
Merci pour elles
Ô président Raviot
merci
pour ce pays
pour la justice
et pour toutes les victimes
psycho endeu physiques
de tous les attentats
et de tous les
pilleurs de charniers.
Merci d’avoir été
responsable
faisant ce que
la situation vous demandait.
Et d’avoir rhabillé
chacun ici
de dignité.
Jamais je ne pensais écrire, un jour,
je suis fier de la justice de mon pays.
Entre les toilettes et la sortie,
je vais voir l'avocat des dames.
Vous le faites, hein.
Et comme il faut.
Thierry, je n'avais pas lu cette chronique. Merci à toi, ce jour-là nous étions dans la salle... et comme toi, encore une fois, avons trouvé LR magistral. Merci, FM