« Vous savez… »
me dit un jour
une fantôme en robe noire
cachée derrière une statue de Berryer
– il s’agissait, je crois,
de Belphégore –
« Vous savez...
il est rarissime
qu’un accusé déclare en audience
ou même en garde à vue
qu’il est notoire
dans son banditique milieu
que tel autre accusé
a tué un homme.
– Les enquêteurs, m’étonnai-je,
ne sont-ils donc pas allés…
vérifier ?
– C’est justement LÀ !
cria Belphégore,
que se tient le secret...
dont…
finalement…
je ne souhaite pas vous entretenir.
Car il vous fera du mal.
Tant de mal.
Alors,
au revoir,
bel écrivain ! »
Je la retins
par le bout de son voile noir.
« Non ! Maîtresse Belphégore !
pitié !
je me jette à vos bottes de cuir,
je me prosterne
mais dites-moi le secret !
– Bon, puisque tu insistes,
et que tu y mets les formes,
voilà : »
Et sa lèvre vint trembler
au lobe de mon oreille :
« Écoute-moi.
Obéis-moi
car tu es mon scribe.
Sache
que
après Charlie Hebdo
les effectifs d’enquêteurs
de la SDAT
(sous-direction antiterroriste)
étaient mobilisés
à l’extrême.
Combien de pistes à suivre !
Combien de fils à déterrer
Quand tout à coup :
13 novembre !
Des années d’instruction
à venir !
Hyperactivité à la SDAT !
État de la menace :
maximal !
Combien d’attentats
à déjouer !
Autant te le dire
petit padawan à plume :
après ton attentat
de bord de mer,
plus assez d’enquêteurs !
Pour vous autres :
effectifs minables
de minables agents
de fond de tiroir !
Voilà pourquoi
au Président
le plus souvent
les enquêteurs répondent
je ne sais pas
nous n’avons pas suivi cette piste
ni celle-là.
Voilà
mon jeune élève
scribe
baise la bague et le pied
de ta Maîtresse Belphégore
et va-t’en révéler son secret
dans ta chronique !
Car nous autres
fantômes des Louvre
des Opéra et des palais
ne pouvons pas le faire :
cela creuserait par trop
pour nos adversaires
un sillon fertile.
Toi, fais-le !
»
Woooof
un nuage blanc
tourbillonna
Belphégore
n’était plus là.
Je restai
pétrifié
abasourdi
dans la grande salle de marbre.
Je tressaillis :
une sonnerie retentissait
dans le lointain.
L’audience était reprise.
Comment donc ?
m'estomaquais-je.
Après le peuple ?
la presse ?
la littérature ?
le cinéma ?
maintenant :
les enquêteurs
la SDAT
la DGSI
le Parquet
le ministère de l’Intérieur…
Eux aussi
ils nous auraient
délaissés ?
Bon-sang-mais-c’est-bien-sûr !
Le grand Raviot
lui qui observe l’audience
en vol stationnaire à mille mètres
ne l’a-t-il pas déploré lui-même,
l’autre jour,
interrogeant un enquêteur SDAT ?
« On n’y comprend rien
à votre tableau
c’est le bordel ! »
Écrire à ce sujet ?
Chaud patate.
Si convaincante et sexy
que fût Belphégore
elle était source trop fluette.
Il fallait
à mon tour
mener l’enquête.
Je commençai par le premier avocat
qui passa sous mon nez
– une jeune femme
tout à fait charmante.
« Croyez-vous Ô Maître
comme une certaine Belphégore
que nous ayons eu pour Nice,
une enquête-au-rabais ?
– Alors ça, explosa-t-elle,
c’est encore des conneries
pour faire du buzz mes couilles ! »
(Comprenez :
Non, je ny crois pas un seul instant
monsieur,
et même,
cette seule idée me scandalise.)
Allons bon !
Je quittai l’enceinte du palais
jusque behind the wall
hors de la protection
de la Garde de nuit.
Aussitôt je me vis attaqué
par un Sauvageon à l’affut
qui brandissait une hache.
Son poil était maculé de cristaux de glace
il portait une peau d’ours
bleu blanc rouge.
« Ah c’est toi… »
se ravisa-t-il,
rengainant son arme.
Je l’interrogeai :
« Avons-nous vraiment eu,
selon toi,
pour notre 14 juillet,
une enquête-au-rabais ?
– Non…
pas au rabais.
Mais une enquête de merde,
ça c’est sûr !
Car il n’y avait rien
sur quoi enquêter !
Pour s’en rendre compte
il suffit de lire
les 80 000 pages du dossier. »
L’on avoua
ne pas les avoir toutes lues.
« La faute à Hollande
poursuivit-il
qui voulut à tout prix
que votre affaire
fût du terrorisme
islamiste !
Alors pour lui obéir
pour lui faire plaisir
la SDAT a cherché dans ce sens
et pas un autre.
Conditionnée.
Quatre ans durant.
Et rien trouvé, pardi.
C’est pourquoi votre enquête
est pourrie.
Découvertes nulles.
Conclusions nulles.
Ils se sont trompés
de A à Z. »
Mince.
Comment raconter cela
à mes lecteurs ?
« Et sinon,
reprit mon sauvageon,
il y a bien plus intéressant
que l’enquête.
Le truc énorme de ce procès
mais vraiment énorme
ce sont les relations
entre les avocats. »
Sachez-le,
Ça passe crème
n’est pas une sorte
de Paris-Match des audiences.
Toutefois
elle peut l’être
le temps d’une chronique.
« Vas-y ami,
raconte !
– Jamais on n’avait vu
tel niveau d’agressivité
entre robes noires.
Des saloperies
je te dis pas.
– J’aimerais bien,
au contraire,
que tu me dises. »
Mais un officier de la Garde noire
franchit les remparts du palais
et disparut dans les ruelles.
Mon sauvageon se précipita
à sa poursuite
et me laissa seul
gelé
insatisfait.
Mon sommeil cette nuit-là
fut peuplé d’enquêteurs
de corsaires aux ongles noirs
de piratesses à cheveux flamme
les uns aux trousses des autres
sur toutes les mers du globe.
L’objet de leur convoitise :
un coffret
rempli de bandelettes de papier
sur lesquelles figuraient
les vrais noms des victimes.
« Une enquête pourrie ? »
enrageai-je au lendemain
l’œil à peine rouvert.
« Des avocats…
irrespectueux les uns des autres ?
Mon dieu ! »
Descendant vers la grande île de la Seine
à travers les jardins glacés
du palais du Luxembourg
absorbé
je n’entendis aucun bruit
je ne vis
ni les branches noires des marronniers
découpées sur le blanc ciel
ni les mouettes lovées
en boules de duvet
frémissant sur les rebords des bassins.
« Une mauvaise enquête ?
N’importe quoi ! »
me réchauffa ma première
interlocutrice
à la machine à café.
« Et les dissensions
entre avocats,
osai-je,
sont-elles
Défense contre Parties civiles
ou internes aux parties civiles ?
– Des dissensions, dites-vous ?
Entre avocats ?
Vraiment
je ne sais pas de quoi
vous parlez.
Excusez-moi,
mon associé m’attend. »
J’en savais toujours trop peu
pour une chronique
digne.
J’en interrogeai d’autres
– un maximum.
Sur la question de l’enquête au rabais :
Pour le moins légère, oui !
Jamais de la vie.
C’est évident.
Qui vous a raconté ces bêtises ?
Sur la question de coups bas entre avocats :
Aucune idée.
Jamais entendu parler.
Allons donc.
Excusez-moi j’ai du travail.
Où tout cela me mènerait-il ?
Dans la salle d’audience
je constatai qu’en effet
on avait hissé des barricades.
Entre les parties civiles et la défense
se dressaient des murailles
de sacs, vestes et manteaux
d’écrans ordinateurs et de bouteilles,
de livres et de dossiers.
Seuls des regards
dépassaient
derrière
pointus comme des armes longues.
Je cherchai
Belphégore.
Plus jamais elle n’avait
reparu.
« Venez demain
au coucher du soleil
angle de la galerie des Ducs
et de la travée Cassation
et je vous dirai
ce que je sais. »
me chuchota-t-on
tandis que sceptique
aux marches du palais
j’évaluais l’incidence probable
de la pluie
sur mon parcours
vers mon déjeuner.
À ce rendez-vous
j’obtins comme révélation
que les échanges entre avocats
oui
s’étaient enflammés
sur quelques Whatsapp cryptés
où quelques sous-groupes
par dissidence
s’étaient formés.
« Et puis c’est tout hein !
On a fortement exagéré
ce qu’on vous a dit ! »
« Ca a dézingué oui,
très lourd,
me dit un autre,
mais c’est de la querelle
de cour d’école.
Ne perdez donc pas votre temps
avec ceci.
N'allez point en entacher
votre jolie chronique ! »
Plus tard encore
je repérai un lutin
délocalisé
vadrouillant dans les allées
bien que l’audience par ailleurs
battît son plein.
Son âge avancé
sa bonhommie de grand Schtroumpf
m'enjoignit à l’interroger
sur l’enquête
plutôt que sur les potins de robe.
« Et comment,
s’exclama-t-il,
que c’est une enquête au rabais !
Avec en plus
Saint-Étienne-du-Rouvray !
Et de toute façon
ils ne peuvent pas traiter
Nice comme Paris.
C’est impossible,
ils ne peuvent pas se le permettre. »
L’on n’a pas davantage
– et c’est bien malheureux –
d’explications à vous donner
sur cette déclaration
ni sur l’identité
de ils.
Tout cela allait mal finir.
Bien trop casse-gueule !
Alors, que faire ?
Y avait-il dans tout cela
matière à chronique ?
Chronique ?
Mais bien sûr !
Pardi !
Qui pourrait être
plus digne de confiance
qu’un lecteur assidû
de Ça passe crème ?
Je ne connais
évidemment
que son pseudo de lecteur
et sa profession d’avocat.
On souhaite rester anonyme.
On me bande les yeux.
On me promène en taxi.
On me conduit par un escalier
dans un endroit mystérieux
qui fleure bon la cave
la pomme
et l’alambic.
« Que voulez-vous savoir ?
– Qui êtes-vous ?
– Que voulez-vous savoir ?
– Est-il vrai que dans la confraternité
vous eûtes affaire à quelque…
mésentente ?
– Oh mon Dieu oui !
Des fous !
Des malades !
– Les malades vous ont-ils semblé...
plutôt…
méridionaux ?
– Ah non, ça non.
Les septentrionaux
furent tout aussi hystériques
pour faire monter le niveau
d’excitation générale.
– Est-il vrai que l’on fut…
indélicat…
sur contexte d’hospitalisation
de l’enfant d’un des vôtres ?
– D’où tenez-vous cette information ?
– A celles qui me donnent un indice
je montre parfois
mon plus beau tatouage
et sur webradio-ya-magique
j’ai des copains.
– Indélicatesse dites-vous ?
Parlez plutôt de réjouissance !
Réjouissance écrite
que l’enfant d’un des nôtres
soit malade !
Des captures d’écran
ont même circulé
sur certains sous-groupes
ultraconfidentiels.
– Et cette enquête
antiterroriste,
alors ?
Fut-elle rabais ?
– Mais PAS DU TOUT !
Elle est même tout à fait
impressionnante !
Si vous voyiez les dossiers
que nous traitons au quotidien !
Enquêtes menées
par Van der Weiden
et le lieutenant Carpentier
de P’tit Quinquin !
Et laissez-moi vous dire
si les confrères étaient mécontents
ils n’avaient qu’à faire
des demandes d’actes !
De tous ces brillants esprits
qui dénoncent l’enquête
pas un seul n’y songea !
– Eh bien merci,
informateur anonyme,
pour ces confidences !
J'ai de quoi écrire
une bien intéressante chronique
tout en me déchargeant
sur votre anonymat.
Auriez-vous l’amabilité
à présent
de me reconduire à la sortie
que j’enlève ce bandeau
et prenne le chemin
de la maison Bullier
pour rédiger mon texte ? »
Alors, je sentis
sur mon abdomen
une ceinture
brutalement
se resserrer.
Elle m'immobilisa
contre le dossier de ma chaise.
« Que faites-vous ?
hurlai-je de peur.
– Je n’en ai pas terminé.
j’ai encore beaucoup
à vous raconter !
– Non ! Libérez-moi !
J’en sais déjà trop ! »
Je parvins à me dégager
arrachai mon bandeau
mais plutôt que d’identifier
mon ravisseur
(et de regarder s'il avait
ou non
gardé sa robe)
je préférai me ruer
dans les escaliers.
L’avocat se jeta à mes trousses
s’agrippa à mon pied
me fit chuter sur les marches.
Je m’efforçai
de continuer à monter
à plat ventre
à la seule force de mes bras.
« Vous ne vous sauverez pas ainsi,
ingrat !
me prévint-on
tandis que des ongles
s’enfonçaient dans ma cheville.
Vous ne partirez pas
sans savoir
qu’un avocat de partie civile
a pris en photo
un de ses confrères
en pleine discussion
avec un confrère de la Défense.
– Ça ne se fait pas
de parler à l’autre camp,
lui opposai-je.
– Ça s’fait ! objecta-t-on.
Et ensuite
on fit circuler cette photo
sous la robe
pour ostraciser
le traître à la cause !
– Maintenant laissez-moi partir !
– Non ! il y a aussi celui
qui a viré son jeune confrère
pour manquement au pointage,
pensez !
une journée de fric de perdue
pour le cabinet !
– LÂCHEZ-MOI !
– le jeune confrère était absent
pour inhumer un proche !
– Je ne veux plus rien savoir !
Je n’en écrirai pas un mot !
C'est vous la folie !
– Et ceux qui ont engrangé
tellement d’argent
grâce à votre procès
qu’ils pourraient déjà
prendre leur retraite
et qui réclament
à l’aide juridictionnelle
des heures supplémentaires !
– Pas un n'est plus malade que vous ! »
Soudain,
on lâcha mon pied.
Je fuis
sans demander mon reste.
Publier les résultats de cette enquête ?
Bien trop dangereux.
Qu'en penses-tu,
Señorita ?
Le désespoir...au sens propre.
Hee hee hee. Ha ha ha. hihihihi. Ho ho ho (nearly Noel). Que t'es cool, ma petite mouche française.
Alors moi... même si on me l’a pas demandé... j’en pense que ça me donne envie de vomir ou pleurer... ou les deux !