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  • Photo du rédacteurThierry Vimal

AÏE MA MÈRE

Dernière mise à jour : 24 oct. 2022

Oui ma mère

je vais fondre

dans ce procès

m'y dissoudre

à limite en crever

(mais n’aie pas peur :

sans en crever).


De chroniques et de révélations,

ma mère,

je suis avide

mon obsession est telle, déjà,

que dans les rues matinales

où je marche actif,

au Jardin du Luxembourg,

où j'exécute sans arme

des katas de bâton

et des étirements japonais,

Tout badaud à tête de Ghraieb

de Chafroud ou d'Arefa

d'Henaj ou de Celaj

me paraît dangereusement

échappé des geôles du Palais.

Hier, nef de l'église Saint-Paul

je faillis intercepter

un fanatique à poignard caché.

Mais il renonça à son forfait.


Une des choses les plus dures,

ma mère,

fut l’absence de bureaux.

(Il m'est interdit d'utiliser

téléphone

ordinateur

dans toute salle

de retransmission)

Écrire sur mes genoux

dans les couloirs

avec, s’étalant sur le trackpad

jusqu’à la barre d’espace

ce ventre ignoble

gras

de tout ce qui fut bouffé

bu

pour nourrir un malheur

vorace et danaïde

(aliments de qualité

tout de même

préparés maison :

baos au porc Char Siu

– dignité dans l’indigne)

Rassure-toi ma mère

désormais j’occupe

la place du Procureur

d'une petite salle vernie

calme et matelassée.


Fondre dans ce procès

Absorber les jus légaux,

tel l’oignon,

les mains et pieds

cloutés de girofle,

baignant

ramollissant

dans le grand pot-au-feu

de la salle d’audience,

déchargeant mes liqueurs

et me gorgeant du bouillon

de sucs d’autrui,

sans jamais une réaction

de Maillard

(sauf quelques dates

à ne pas manquer.

Renseignez-vous)


Ton fils, ma mère,

ingrédient parmi les Ingrédients

ci-mijotera

Île de la Cité

des semaines et des semaines.

Légère acidité générale

– quelqu’un, déjà,

a jeté au bouillon

moutarde et cornichons.

Peu d'impuretés

en surface.


Notre Señorita souffrit de plus

que d’un pot-au feu.


Ma mère,

cette chronique,

réclame de moi

de mon corps.

On oublie de trop

nous auteurs

le don du corps.

Tout le corps.

On sépare de trop

– à cause du sport.


Les Musso

et les Levy

les Nothomb et les Gounelle

les Werber

transportent-ils encore

sur leur épaule

sous la pluie battante

de Darty Montparnasse

jusqu’à Port-Royal

des fours à micro-onde

dont l’emballage

se désagrège ?


Et le chrétien martyre, alors ?

Verser, pour son travail,

ses surrénales et sa rate

et son bloc pharyngé

son os hyoïde et sa moelle

cervicothoracique.

Rotules, chevilles en débâcle

à vouloir bouger

cent deux kilos de coriace gravats

tâcher d’en faire jaillir

un peu de cette eau pure

qu’on appelle

qualité littéraire.


Car ainsi faut-il l’aller chercher

chrétien martyre

quand on n’est ni Tolkien

ni Carlier.

Notre Señorita souffrit de plus

que de mal aux pieds.


La valeur de cette chronique

ne peut éclore d’un talent

mais d’un cri

d’un procès

d'un fait.

N’oublions jamais,

pas une seule seconde :

un camion, énorme

fonçant dans les gens,

exprès.


Héroïque, ma mère

au cinquième étage,

je rapportai

le four aux mille promesses

de soupers décongelés

Pauvre homme, comme il a dû souffrir

dans les six mètres carrés et demi

de ce que j’hésite encore à nommer

ma cabine de Vendée Globe

ou

ma cellule d’anachorète.


J’y vivrai

pénitent civil

marin revêche

sans réfrigérateur

trois mois d’ascèse

(un peu de bière)

y perdrai vingt kilos

le dos courbé

sans voir au dehors

sans entendre aucun bruit

outre-palais.


Dans son columbarium

notre Señorita

n’a pas une telle surface

mais le royaume des cieux

lui appartient :

Elle souffrit de plus

que de mauvais défraiements.



Expier au passage

mon temps foutu en l’air

car en pensée, en paroles,

par action et par omission

par paresse,

oui,

même père endeuillé

j'ai vraiment péché.


Figurez-vous,

(injustice !

outrage !)

que perdre son enfant

dans un attentat

– tout comme conduire en chimio

son pitchoun de cinq ans –

ne fait pas instantanément de vous

un saint

un sage

un innocent

un grand artiste.

Tribu payé

n’est pas encore

assez lourd.

Martyre chrétien.


Ma senorita souffrit de plus

que de frustrations.


Marchons, ma mère,

encore,

pierriers et bouillasses,

galets en pente

tunnels en dévers

Faux plats

ponts de guingois

Météo : vallée de la mort

avec risques

d’épisodes méditerranéens.


Bâton à la main

entre les deux Seine

un pas devant l'autre

chemin de l’art et du texte

Chemin vers ceux

qui ne savent pas ce qu'ils font

Chemin du Soi

Chemin de Dieu

en bord de mer un joli soir

chemin vers là

où il ne fait ni nuit ni jour

où nul n'est plus vivant ni mort

chemin d'Amour que

dans certain Enseignement,

l’on nomme

Djihad.


Baisers, Bruxelles.




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