Oui ma mère
je vais fondre
dans ce procès
m'y dissoudre
à limite en crever
(mais n’aie pas peur :
sans en crever).
De chroniques et de révélations,
ma mère,
je suis avide
mon obsession est telle, déjà,
que dans les rues matinales
où je marche actif,
au Jardin du Luxembourg,
où j'exécute sans arme
des katas de bâton
et des étirements japonais,
Tout badaud à tête de Ghraieb
de Chafroud ou d'Arefa
d'Henaj ou de Celaj
me paraît dangereusement
échappé des geôles du Palais.
Hier, nef de l'église Saint-Paul
je faillis intercepter
un fanatique à poignard caché.
Mais il renonça à son forfait.
Une des choses les plus dures,
ma mère,
fut l’absence de bureaux.
(Il m'est interdit d'utiliser
téléphone
ordinateur
dans toute salle
de retransmission)
Écrire sur mes genoux
dans les couloirs
avec, s’étalant sur le trackpad
jusqu’à la barre d’espace
ce ventre ignoble
gras
de tout ce qui fut bouffé
bu
pour nourrir un malheur
vorace et danaïde
(aliments de qualité
tout de même
préparés maison :
baos au porc Char Siu
– dignité dans l’indigne)
Rassure-toi ma mère
désormais j’occupe
la place du Procureur
d'une petite salle vernie
calme et matelassée.
Fondre dans ce procès
Absorber les jus légaux,
tel l’oignon,
les mains et pieds
cloutés de girofle,
baignant
ramollissant
dans le grand pot-au-feu
de la salle d’audience,
déchargeant mes liqueurs
et me gorgeant du bouillon
de sucs d’autrui,
sans jamais une réaction
de Maillard
(sauf quelques dates
à ne pas manquer.
Renseignez-vous)
Ton fils, ma mère,
ingrédient parmi les Ingrédients
ci-mijotera
Île de la Cité
des semaines et des semaines.
Légère acidité générale
– quelqu’un, déjà,
a jeté au bouillon
moutarde et cornichons.
Peu d'impuretés
en surface.
Notre Señorita souffrit de plus
que d’un pot-au feu.
Ma mère,
cette chronique,
réclame de moi
de mon corps.
On oublie de trop
nous auteurs
le don du corps.
Tout le corps.
On sépare de trop
– à cause du sport.
Les Musso
et les Levy
les Nothomb et les Gounelle
les Werber
transportent-ils encore
sur leur épaule
sous la pluie battante
de Darty Montparnasse
jusqu’à Port-Royal
des fours à micro-onde
dont l’emballage
se désagrège ?
Et le chrétien martyre, alors ?
Verser, pour son travail,
ses surrénales et sa rate
et son bloc pharyngé
son os hyoïde et sa moelle
cervicothoracique.
Rotules, chevilles en débâcle
à vouloir bouger
cent deux kilos de coriace gravats
tâcher d’en faire jaillir
un peu de cette eau pure
qu’on appelle
qualité littéraire.
Car ainsi faut-il l’aller chercher
chrétien martyre
quand on n’est ni Tolkien
ni Carlier.
Notre Señorita souffrit de plus
que de mal aux pieds.
La valeur de cette chronique
ne peut éclore d’un talent
mais d’un cri
d’un procès
d'un fait.
N’oublions jamais,
pas une seule seconde :
un camion, énorme
fonçant dans les gens,
exprès.
Héroïque, ma mère
au cinquième étage,
je rapportai
le four aux mille promesses
de soupers décongelés
Pauvre homme, comme il a dû souffrir
dans les six mètres carrés et demi
de ce que j’hésite encore à nommer
ma cabine de Vendée Globe
ou
ma cellule d’anachorète.
J’y vivrai
pénitent civil
marin revêche
sans réfrigérateur
trois mois d’ascèse
(un peu de bière)
y perdrai vingt kilos
le dos courbé
sans voir au dehors
sans entendre aucun bruit
outre-palais.
Dans son columbarium
notre Señorita
n’a pas une telle surface
mais le royaume des cieux
lui appartient :
Elle souffrit de plus
que de mauvais défraiements.
Expier au passage
mon temps foutu en l’air
car en pensée, en paroles,
par action et par omission
par paresse,
oui,
même père endeuillé
j'ai vraiment péché.
Figurez-vous,
(injustice !
outrage !)
que perdre son enfant
dans un attentat
– tout comme conduire en chimio
son pitchoun de cinq ans –
ne fait pas instantanément de vous
un saint
un sage
un innocent
un grand artiste.
Tribu payé
n’est pas encore
assez lourd.
Martyre chrétien.
Ma senorita souffrit de plus
que de frustrations.
Marchons, ma mère,
encore,
pierriers et bouillasses,
galets en pente
tunnels en dévers
Faux plats
ponts de guingois
Météo : vallée de la mort
avec risques
d’épisodes méditerranéens.
Bâton à la main
entre les deux Seine
un pas devant l'autre
chemin de l’art et du texte
Chemin vers ceux
qui ne savent pas ce qu'ils font
Chemin du Soi
Chemin de Dieu
en bord de mer un joli soir
chemin vers là
où il ne fait ni nuit ni jour
où nul n'est plus vivant ni mort
chemin d'Amour que
dans certain Enseignement,
l’on nomme
Djihad.
Baisers, Bruxelles.
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