La chronique de ce soir
est dédiée aux victimes
des attentats du 13 novembre.
Elle est quelque peu bavarde
il sera plus approprié
de la publier demain.
Ce soir
silence et recueillement.
Sur vous le salut et la paix.
L’on se plaignit.
L’on s’offusqua :
Comment donc ?
Paris 13 novembre :
tant de bouquins
que Livre-Hebdo doit
nous en sélectionner treize !
De quoi ouvrir
une librairie thématique !
Des films de cinéma
avec affiches dans le métro
et même Dujardin !
Nous, jaloux martyrs de Nice,
d’un autre pays que le vôtre,
d’un autre quartier,
d’une autre sociologie,
plus proches
si j'ai bien compris
des accusés que de la cour,
inéligibles à la qualité de souffrance
d’un Vous n’aurez pas ma haine
quémandant la considération
de la Capitale
de ses victimes
mais surtout
de ses politiques
ses médias…
échangerions-nous notre place ?
Mon cœur balance.
"Qu’est-ce que tu préfères ?"
demanderait Palmade.
"Hein,
qu’est-ce que tu préfères
après avoir vécu un attentat ?
Qu’on t’ignore royalement
parce que c’est trop dur ?
Trop beauf ?
Ou bien qu’on introduise
des caméras
dans toutes tes blessures
parce que c’est trop voisin ?
Trop branché ?
Trop intéressant
sociologiquement ?
Alors,
hein, hein,
qu’est-ce que tu préfères ?"
Ce sont des commentateurs
non pas des survivants
qui intronisèrent
les attentats du 13 novembre 2015
"pires jamais commis en France".
C’était vendeur.
Il est vendeur
de poser des superlatifs.
Le grand public aime
les palmarès.
(Nous ne sommes pas envieux
de ce pires attentats,
Pour Nice
je me suis permis de déposer
le copyright
pour
dégueulasse.
"Attentat le plus dégueulasse
jamais commis en France".)
Et ces bêtises nous encouragent,
mes sœurs de trauma,
mes frères de deuil,
à la concurrence
à la compétition
intestine.
Nous nous efforçons
d’élever le débat
– pas facile.
J’échoue sans cesse
par exemple
à tenter de me convaincre
que non
dans la matrice du peuple de France
(le non corrompu)
la vie de ma Señorita
n'est pas moins importante
que celle
d'une jeune parisienne
de sortie un 13 novembre.
« Et quand bien même,
mon Papounet,
m’assagit-elle depuis ses cieux,
qu’est-ce que ça peut bien nous foutre ?
En plus, la parisienne en question,
c'est ma pote ! »
Certains endeus
n’aiment pas les psychos.
La réciproque commence
à donner des signes
de décomplexion.
Avez-vous aussi
ce phénomène
à Paris ?
Ou êtes-vous si corporate
qu’on imagine ?
Amis quatorziens,
à dénoncer
la rivalité
l'envie
(la cupidité ?)
l’on ne fait sans doute
rien d’autre
que rajouter du mal au mal
– au nôtre,
comme à celui d’autrui.
Amis treizois,
soyez sûrs que dans nos rangs
de victimes de Nice
(Nice 14 juillet 2016
il faut préciser,
car nous aussi
nous avons un parent pauvre :
29 octobre 2020)
soyez sûrs que chez nous
personne ne dit
les-attentats-du-Bataclan.
(Bon, je l'entends parfois
presque jamais.)
Nous savons
exactement
ce que ressentent
les gens des terrasses
et de Saint-Denis.
Cette douloureuse rivalité
si vive chez nous
si inconnue de vous
(sauf peut-être
depuis le 5 septembre
où nous arrivâmes massivement
– six, huit à la fois –
dans cette vaste salle
que l'on n'eût jamais construite
pour nous.
AH ! Foutu ressentiment !
Je reprends :
"dans ce palais solennel
que nous eûmes la chance
de partager".)
Cette douloureuse rivalité
ne possède en vérité
aucune manière de fondement
dans aucune espèce de réalité
subtile.
Hier soir
je suis allé devant le Bataclan
et la Belle Équipe.
Tristesse.
Fleurs, bougies, passants recueillis :
mais si peu !
Je m'attendais à tellement plus !
Une jeune femme me demanda
de l'aider à mettre à disposition
le pack de bougies
qu'elle avait apporté.
Nous, date oblige,
"lieu ouvert" oblige
notre soirée d'anniversaire
est toujours bondée.
De gens venus rendre hommage,
et aussi
de touristes et fêtards
ignorant les faits
à qui il faut demander
de ne pas marcher sur les bougies
et dessins à la craie.
Qu'est-ce que tu préfères,
hein,
qu'est-ce que tu préfères ?
Voir de tes yeux
un camion faucher tes amis
sur une terrasse de café
ou dans la file d’attente
d’un stade
ou d’une salle de concert ?
Voir sous tes yeux
un commando surgir
sur une grande avenue
littorale
et abattre toute ta famille
à l’arme de guerre ?
Est-ce vraiment différent,
sur le plan du deuil ?
Est-ce vraiment différent,
sur le plan de l'impression,
du souvenir,
de la persistance oculaire,
auditive,
olfactive,
gustative
et du toucher ?
Et du sommeil et de la vie futurs ?
Et si, tiens,
je dédiais aussi cette chronique
à ces parents pauvres
de vos attentats
et du nôtre
que sont
nos victimes étrangères ?
trop vrai hélas.. d’ailleurs ça m’agace tous les jours de ne pas voir de live tweets quotidien comme pour « V13 » ou Charlie Hebdo. Entre autre.
"Pires" ou "dégueulasse", cela n'en demeure pas moins une horreur insupportable qui percute au plus profond les tripes et ébranle l'âme à jamais.
Merci pour vos chroniques si bienfaitrices.
Toujours percutant et au bon endroit. Toujours.
Toujours aussi juste. Merci.